« Rose Nuit » poignant roman (enquête romanesque et sociale) d’Oscar Coop-Phane sur les fleurs coupées


Petit préambule
Personnellement, je n’achète jamais de fleurs coupées. J’ai toujours garni mes vases de fleurs de mon jardin ou cueillies au gré de mes promenades du temps où j’ai habité à la campagne (une vingtaine d’années). Et depuis que je suis revenue à Paris, bien qu’ayant une petite collection de jolis petits vases, je ne les utilise que lorsqu’on m’offre des fleurs. Même les plantes qui garnissent mes balcons avec luxuriance, ce sont toutes des boutures de plantes sauvages que je rapporte de mes voyages et que j’élève avec patience et amour. Et même le 1er mai, je me refuse à acheter un brin de muguet vendu à la sauvette, me doutant bien de leur triste périple. C’est assez dire si ce roman d’Oscar Coop-Phane m’a touchée et m’est allé droit au cœur.
Et pourtant, devant un bouquet de roses anciennes ou de pivoines, je suis capable de rester en admiration plusieurs minutes. J’en prends beaucoup en photo, aussi. Mais je ne cède jamais à la tentation d’en acheter.
Ce petit laïus préliminaire pour exprimer ma solidarité avec le thème du livre qui ressemble en apparence à un reportage, à une enquête, à un documentaire — et bien évidemment qu’il est tout cela (investigations très fouillées en plus, l’auteur étant allé sur place) — mais qui est aussi un vrai roman poignant, dans lequel l’auteur croque par petites touches trois portraits criants de vérité qui s’entrecroisent et tissent une histoire finalement sordide pour les protagonistes, mais pourtant pétrie d’humanité.
Le livre
La quatrième de couverture nous dit : « Trois personnages trois pays, trois quotidiens radicalement différents qu’un seul objet relie : la rose. »
Ce découpage en trois récits juxtaposés — Nana, très jeune femme qui cueille les roses sous serres en Éthiopie, déjà rongée par les pesticides ; Jan, acheteur-trader à Amstermam, qui jongle avec les lois du marché et que ce business détruit lui aussi, quoique plus sournoisement ; et Ali, venu du Bangladesh, vendeur à la sauvette qui rame pour les vendre clandestinement dans les rues de Paris — permet à l’auteur de décrire trois destins qui s’ignorent mais qui, à leur manière, sont tous les trois tragiques.
Le regard de l’auteur est d’une acuité lyrique sans trémolos. Son talent ne consiste pas seulement à observer et décrire ce qui se voit (paysages, lieux de cultures, ville de bureaux, lieux de vie miséreux, etc.) mais il sait aussi farfouiller dans les méninges et les âmes, cibler les désirs et les ambitions, décrypter les caractères, les rites et les attentes, cerner les gestes du quotidien aussi bien qu’une photographie, qu’une radiographie exploratrice, avec un souci du détail qui n’alourdit pas le moins du monde le texte. Car l’écriture d’Oscar Coop-Phane est à la fois rythmée et fluide, concrète car ponctuée d’images chocs qui incitent implicitement à la réflexion, établissant un constat social terrible à propos de la mondialisation, qui interpelle au-delà de l’histoire sur un plan politique, mais sans jamais interrompre le fil de la lecture.
Surtout, malgré cette réalité inacceptable — 1 million de mètres carrés de cultures en Éthiopie et au Kenya où les cueilleuses travaillent dans des conditions terrifiantes, sans protection, sous la garde de gardiens armés de kalachnikovs, tout en étant payées des clopinettes ; 1 fleur sur 3 vendue en Europe provenant de cette filière — les trois personnages acteurs sont terriblement attachants, surtout Nana et Ali, bien sûr.
Toute la subtilité du style d’Oscar Coop-Phane, c’est, avec une lucidité presque désenchantée, de camper impeccablement des personnages-pions, acteurs à leur insu, sans complaisance, mais sans mélo larmoyant.
Un livre cependant romanesque — Nana et Ali gardent une âme romanesque et quelques rêves sinon de l’espoir — qui n’est donc pas exempt de sa petite dose de philosophie en nous incitant à réfléchir aussi à nos exigences et caprices de consommateurs toujours avides de déraisonnable.
D’Oscar Coop-Phane, j’avais déjà lu Le procès du cochon et Tournevis, deux ouvrages qui m’avaient déjà bien plu, aussi je vous engage vivement à suivre cet auteur.
Rose Nuit
Oscar Coop-Phane
Bernard Grasset éditeur
Prix : 18 €
Blandine Vié
