Le beaujolais nouveau selon René Fallet
Alors, comment l’avez-vous trouvé le beaujolais nouveau 2023 ?
Parce que dans son roman Le beaujolais nouveau, paru en 1975 chez Denoël, René Fallet n’y va pas avec le dos de la cuillère. C’est à la louche qu’il disserte sur ce vin de copains qui, traditionnellement, commence à se boire tous les ans le troisième jeudi du mois de novembre. Un vin qui est presque le personnage principal du roman puisque même l’un des principaux protagonistes est surnommé Captain Beaujol. Un bel hommage en tout cas. Je vous en sers un verre ?
« Et le beaujolais nouveau arriva.
Et du Nord au Midi, comme tous les 15 novembre, un printemps d’affichettes bleu ciel, rouges, orange, vertes, fleurit aux vitrines des débits de boisson pour annoncer aux passants mornes que le petit Jésus des vins était né. Et les passants mornes s’éclairaient à la vue de ces papillons, et une goutte de rubis tombait sur leur vie grise, leur demeurait à la lèvre en confetti de sang…
LE BEAUJOLAIS NOUVEAU EST ARRIVÉ !!! Ce Te Deum éclatait sur Paris, sur toutes les grandes villes, roulait dans leurs artères, chantait Montmartre et Contrescarpe, défilait dans la rue Saint-Denis, tintait louis d’or sur tous les zincs où se pressait le peuple pour voir et toucher le divin enfant de l’année.
La fête accrochait ses lampions à tous les nez, ses limonaires dans toutes les têtes, et quand la mauvaise heure était sonnée de rentrer chez soi c’était, du moins, à dos de chevaux de bois. La fête ! C’en était une, païenne, chrétienne, tout ce que l’on voudra et tout le tremblement, et tout le tremblement, et tous les tremblements dans toutes les lumières.
Le Beaujolais nouveau est arrivé, la fête est revenue pour quelques jours, fête tuée par l’armée des pisse-vinaigremais ressuscitée en cachette par les chante-la-joie increvables comme elle.
On les avait assassinés, les fêtes de faubourg et les bals de quartier, relégués au rayon souvenirs, avant-guerre, belle époque et c’était le bon temps. Mais il avait suffi de la fraîcheur d’un petit vin familier rigolo populo pour qu’un 14 juillet tout neuf, improvisé, guilleret, remonte du pavé, à cheval sur des accordéons, frémissant de tous ses grelots.
Ce saint vivant, ignoré des calendriers officiels, était plus célèbre, honoré que ceux, desséchés, fossiles, qui y figuraient dans l’indifférence générale. Saint Beaujolais Nouveau, Saint de Paix, éclipsait Saint Albert, peu après l’ « Armistice 1918 ». On le priait, mais seulement de se montrer aussi gouleyant, ou davantage, que celui de l’année dernière, on ne lui demandait que d’exister, de passer une fleur au bas, ou un refrain, et surtout de revenir l’année prochaine…
Le Beaujolais nouveau est arrivé ! Coquinet de la cuisse, un poil canaille, sans soutien-gorge, il était arrivé dans les arrière-gorges, un rien pute, léger et court vêtu, un brin muguet, un brin de fille, un doigt de Dieu, un doigt de cour. Il coulait source dans les hommes, il ne repartirait qu’en leur laissant au cœur le plus clair de la vie, la vertu d’un sourire… »
Texte extrait du chapitre V.
Je vous engage vivement à lire la suite, au moins de ce chapitre presqu’excluisvement dédié au beaujolais nouveau.
Blandine Vié