Oh ! les beaux culs de bouteilles !
Comme dirait l’autre — l’autre s’appelant tout de même Alfred de Musset ! (in « La coupe et les lèvres », 1830, Premières poésies) — : « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? ».
Il va évidemment sans dire que c’est le contenu de la bouteille qui est essentiel et que, même si le contenant est moche et guère engageant — surtout si en plus l’étiquette elle-même est laide ! — ça ne change en soi rien au vin… sauf psychologiquement !
En revanche, lorsque le contenant et le contenu sont en adéquation, le plaisir de la dégustation est augmenté par celui de l’esthétique.
Bon, il y a aussi les traditions — or, ne l’oublions pas, l’héritage, c’est le socle de la culture — qui font que certaines régions ont des formes de bouteilles typiques : l’élancée bordelaise (ou « frontignan »), utilisée aussi pour les vins du Sud-Ouest et du Languedoc ; la paradoxalement plus « gironde » bourguignonne (ou « feuille morte ») ; la longue flûte alsacienne ; la « muscadet » et l’ « anjou » dédiées aux vins de Loire ; la « jura » et le « clavelin » jurassiens ; la plus pansue rhodanienne ; la flûte à corset provençale ; la gaillacoise ; la champenoise, etc.
À cette polymorphie, s’ajoute la couleur du verre qui peut varier du transparent cristallin à des tons de vert… bouteille ou de jaune. Ce n’est pas notre propos d’en parler dans cet article.
Je ne disserterai pas non plus sur toutes les parties qui composent la bouteille (en partant du goulot) et qui sont un peu comme les courbes d’une femme : bague (en anneau, en cordon, pleine, carrée), col (droit ou enflé), épaule (tombante, arrondie ou droite), corps ou fût ou ventre (droit, conique, renflé), jable (droit ou à talon).
Non, je ne vous parlerai aujourd’hui que de leurs fonds ou plus prosaïquement… de leurs culs ! Qui — vous ne le saviez peut-être pas — peuvent-être plats, piqués (creux) ou semi-piqués (moins profonds que piqués).
Oui le « cul » — ou cul-de-bouteille ou culot — est un terme imagé qui désigne la partie inférieure d’une bouteille, c’est-à-dire son fond.
Fonds de bouteilles à ne pas confondre avec ceux qui servent à faire la ripopée dans les tavernes peu scrupuleuses. Et si vous ne savez pas ce qu’est une ripopée, vous en trouverez la signification dans l’aticle ci-après.
Techniquement, le cul-de-bouteille est fait à partir d’un morceau de verre étalé en disque dont la partie centrale plus épaisse est réalisée par soufflage en couronne.
Quand le fond est convexe (creux), il peut être plus ou moins profond. Le juste terme pour ce « trou », cet enfoncement est « piqûre ».
On peut se demander le pourquoi de cette coquetterie.
Mais en fait, il y a plusieurs raisons à cela :
— Tout d’abord, la piqûre assure la stabilité de la bouteille afin qu’elle n’oscille pas quand elle est debout.
— Ensuite, visuellement, cela donne l’illusion d’une capacité plus importante.
— Enfin, cela facilite la prise de la bouteille pour le service du vin, le pouce pouvant se glisser dans le cul. Vous avez dit trivial… meuh non !
— Quant aux bouteilles d’effervescents, la piqûre est profonde parce qu’à une étape de la vinification, on entrepose les bouteilles « sur pointe » (pointage), c’est-à-dire sur des pupitres percés, goulot vers le bas pour que le dépôt descende vers le col par effet de gravité. La piqûre facilite alors la rotation manuelle des bouteilles.
Mais, si la tradition est une chose éminemment respectable, d’un autre côté, il est légitime de vouloir mettre sa patte et d’innover.
C’est justement ce qui m’a interpellée : l’apparition depuis quelque temps, de culs-de-bouteille… enjolivés !
La première bouteille à m’avoir surprise, c’est le rosé « Côte des roses » de Gérard Bertrand, avec son très original fond en forme de rose, dessiné par un jeune designer de l’École Boulle, en partant du postulat que ce vin peut s’offrir… comme un bouquet de roses !
C’est joli, séduisant et malin… car les bouteilles étant difficiles à ranger — ou alors, à l’envers dans un vase ! — on est presque « obligé » de les boire rapidement !
Tellement joli que beaucoup de consommateurs achèteront le vin rien que pour la bouteille !
Personnellement, j’ai essayé de me servir du fond de bouteille comme empreinte sur de la pâte sablée aux fins d’obtenir des biscuits en forme de roses… mais ça ne marche pas ! 🙁
La deuxième bouteille croisée au fond joliment travaillé le fut lors d’une dégustation des vins « Les Terres de Saint-Hilaire », en blanc et en rosé. Un moucheté que la couleur pastel des vins fait scintiller et qui, réciproquement, fait scintiller les vins.
Et puis, un communiqué de presse des vins Mangot nous a ravis avec son « M » de Mangot, un rosé très pur et élégant décliné en quatre flacons avec différentes piqûres personnalisées (collection « Éclat » de Saverglass). Passionnée par le design, la famille Todeschini a ainsi souhaité « faire un objet unique qui consacre l’émotion d’un vin inédit. »
Fouineuse comme je suis, j’ai voulu en savoir plus et j’ai demandé quelques précisions à Yann Todeschini. Je voulais surtout savoir pourquoi avoir adopté les quatre piqûres pour un même vin plutôt que pour quatre vins différents. Et ses réponses m’ont passionnée.
Tout d’abord, pour son équipe, chaque cul évoquait des objets différents :
• La « constellation » (ciel étoilé) : une balle de golf, des crampons de foot, un dé à coudre.
• La « falling star » (étoile filante) : un volcan, le ravinement d’un sol, un cupcake, des racines, une écorce, un halogène. Elle peut aussi symboliser la matière (terre ou bois) qui interpelle.
• La « star shining » (étoile brillante) rappelle un moule à canelé, une araignée, mais aussi le M de Mangot.
• La « moon rising » (lune montante) — après les étoiles, on finit sur la lune — fait quant à elle allusion à un temple, une pyramide, un verre plastique pliable de l’époque.
Et Yann de poursuivre : « J’ai rapproché chaque cul d’un ou de plusieurs adjectifs du vin :
— Star shining : à l’image du vin, fin et épuré ;
— Fallling star : c’est le lien à la terre et la vivacité, comme une étoile filante ;
— Constellation : c’est la complexité, le croquant ;
— Moon rising : c’est l’ampleur, la largeur, le gras, la construction du vin tel un mille-feuilles.
Comme quoi regarder un cul est toujours instructif !
Comme quoi aussi, une bouteille bien culottée peut ajouter non seulement de la poésie et du charme au vin qu’elle contient, mais aussi lui conférer un petit supplément d’âme. Non parce que ça rend le vin meilleur… mais parce le cul de la bouteille aura suscité une réflexion induisant une approche plus attentive du vin et que cela préparera vos papilles à une dégustation plus subtile.