Fais-moi un œuf au carré !

Eh oui ! Pour cette reprise après une petite pause estivale consacrée à la finalisation d’un livre — pause d’ailleurs pas si estivale que ça vu le temps en dents de scie qu’il a fait cet été — je vous propose un peu d’humour assorti d’un peu de culture.

Pour l’humour, il s’agit d’un gadget que j’ai depuis des années dans mon placard et dont je ne m’étais servie qu’une fois après mon achat (… et aussi vite rangé), ustensile qui permet de faire des œufs durs carrés ! Ça peut être amusant pour étonner des enfants ou pour une fête.

Pour la culture, c’est en relisant Les Thibault de Roger Martin du Gard pour une recherche particulière que je suis tombée sur le passage suivant, et que j’ai eu envie de ressortir mon accessoire :

   «   Antoine se demanda si M. Chasle n’avait pas le cerveau plus déséquilibré que de coutume : les événements, plusieurs nuits blanches…
— « Latoche parlerait de tout ça mieux que moi » reprit le petit homme. Voilà beau temps que je le connais, Latoche ; et, pour le passé, je n’ai jamais eu sur lui que de parfaits antécédents. Une élite. Toujours des idées. Comme moi. Même, à nous deux, une grande idée : ce fameux Comptoir. Le comptoir de l’Ingéniosité moderne… Vous y êtes ? »
— « Pas tout à fait. »
— « Eh bien, en définitive, les petites inventions. Les petites inventions pratiques !… Tous les petits ingénieurs qui trouvent un petit truc et qui ne savent qu’en faire. On centralise tout ça, Latoche et moi. On lance des réclames dans les journaux de la localité… »
— « Quelle localité ? »
M. Chasle considéra Antoine comme s’il ne comprenait pas la question.
— « Du temps du défunt », continua-t-il après une pause, « j’aurais eu honte bue de raconter ces choses-là. Mais maintenant… Il y a treize ans que je rumine ça, Monsieur Antoine. Depuis l’Exposition. J’ai même, rien qu’à moi seul, inventé un tas de petites célébrités. Oui. Un talon enregistreur, pour compter les pas. Un mouilleur de timbres, automatique et perpétuel. » Il sauta de sa chaise et s’approcha d’Antoine. « Mais le plus conséquent, c’est l’œuf. L’œuf carré. Reste à trouver mon liquide. Pour ça, je suis en correspondance avec des chercheurs. Les curés de campagne, ce sont tous des candidats adeptes : en hiver, après l’Angelus, on a le temps de bricoler, n’est-ce pas ? Je les ai tous lancés sur mon liquide. Dès que j’aurai mon liquide… Mais le liquide, ça n’est plus rien. Le difficile, c’était l’idée. »
Antoine écarquillait les yeux :
— « Dès que vous aurez le liquide ?… »
— « Eh bien, j’y trempe mes œufs… juste assez pour ramollir la coquille sans gâter l’œuf !… Vous y êtes ? »
— « Non. »
— « Je les fais sécher dans des moules… »
— « Carrés ? »
— « Naturellement ! »
M. Chasle se tortillait comme un ver coupé. Antoine ne l’avait jamais vu dans cet état.
— « Par centaines ! Par milliers ! Une usine ! L’œuf carré ! Plus de coquetiers ! L’œuf carré se tient debout ! Sa coquille reste dans le ménage ! On en fait un porte-allumettes, on en fait un pot à moutarde ! L’œuf carré se range en boîtes, comme des pains de savon ! Alors, pour les expéditions, vous vous rendez compte ? »

in Les Thibault, tome II, 3e partie La mort du père, chapitre X, publié en 1928

Et voici la méthode !

Remarques

• Cet ustensile se trouve dans certains bazars.
• L’inconvénient si l’on n’a qu’un seul moule, c’est qu’il faut cuire les œufs un par un
pour qu’ils soient moulés à chaud, sinon, ils ne prennent pas la forme.

Blandine Vié

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