Une jolie dégustation
13 h ! Vous pénétrez d’un pas affirmé dans le restaurant parisien Taillevent, doublement macaronné par le petit livre rouge. Vous cédez manteau et parapluie à la charmante dame du vestiaire (onze années de présence), vous êtes salué par Jean-Marie Ancher, le directeur, comme si vous l’aviez quitté la veille (37 ans de maison au compteur et il semble presque ému quand vous évoquez le créateur de l’institution, le père de Jean-Claude, le grand-père de Valérie : André Vrinat. Voilà qui ne nous rajeunit pas !).
Mais, brisons là, vous êtes attendu au premier étage de l’ancien hôtel particulier du duc de Morny par la puissance invitante : Alexandre de Malet Roquefort et sa charmante sœur, Bérangère, propriétaires du château La Gaffelière, en Saint-émilion grand cru, qui ne sont pas venus les mains vides.
Le chef Alain Solivérès vous a préparé un repas simple mais de bon ton (foie gras, quasi de veau, fromage), et le chef pâtissier Sylvain Pétrel un formidable dessert au chocolat et aux épices, sous différentes textures. Vous patientez avant de passer à table avec le petit dernier de la famille, le château La Connivence dans son deuxième millésime, 2009, rond, suave, aux tanins déjà soyeux pour son âge, un joli pomerol, élégant, civilisé. Le château La Gaffelière 2008 est bien représentatif de son année de naissance, net, propre sur lui, une certaine raideur dans le maintien peut-être, mais d’un abord au demeurant sympathique.
Ensuite, on ne parle plus tellement de vins, mais plutôt de bouteilles qui se succèdent. Vous connaissez l’adage (tiens, Michel Bettane est là d’ailleurs) : « Avec le temps, on ne parle plus de grands vins, il n’y a plus que de grandes bouteilles ! » Et puis après, c’est la guerre ! Les magnums de 70 sont pointés vers vous, vous hésitez presque à mettre les bras en l’air pour prouver la pureté de vos intentions… Vous chipotez sur cette fausse grande année qui s’est éteinte plus vite que ne l’avaient prévu les oracles de l’époque (tiens ! Michel Dovaz n’est pas là !).
Avec le 1953, la fraîcheur vous surprend, vous enviez son équilibre, c’est un beau vin qui ne fait pas son âge, lui ! Et puis, arrive un flacon qui vous a vu naître (enfin presque…). Les magnums de 1945 sont là pour fêter une victoire, évidemment. Laquelle ? La vôtre, pardi ! Vous êtes le vainqueur aux points de cette magnifique dégustation puisque vous avez tout bu ! L’émotion a triomphé, comme au théâtre (Pierre Arditi a apprécié !).
Vous vous ébrouez de ces instants précieux, vous embrassez des confrères qui n’en demandaient pas tant, vous faites des envieuses en quittant à regret le beau Nicolas de Rouyn, sur un complice : « A demain, cher ami ! »
C’est fini, mais vous repartez heureux puisque tout le monde était beau, tout le monde était gentil.
PdM