« L’homme Femme » de Laurent Viel au théâtre Essaïon : la pudique confession d’un homme à la belle féminité
Comme j’ai aimé ce spectacle, tellement touchant de sincérité, entre douceur et douleur, où bonheur et drame se côtoient dans une ronde presque enfantine, où la tristesse affleure sous forme de sourires, où quand les larmes perlent au bord des cils, elles sont soyeuses et douces, lénitives. Un spectacle flamboyant, si balsamique, si apaisant au final qu’on en ressort en s’aimant un peu plus — soi et les autres — malgré les écorchures d’une âme fossile qui n’oublie rien.
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Quelques infos préliminaires
Ce spectacle est issu du nouvel album de Laurent, « L’homme Femme », et il a été conçu avec la collaboration d’Isabelle Aichhorn. En travaillant avec Yann Cortella, Laurent Viel a ainsi réalisé son rêve : mettre un univers musical propice au voyage, au service des textes, des mots et des mélodies.
Parmi les auteurs compositeurs du spectacle, figurent Romain Didier, Roland Romanelli, Philippe Besson, Pascal Mathieu, Xavier Lacouture, Thierry Garcia, Bertrand Soulier, Baltazar, Alain Nitchaeff, Michel Hahn, Yann Cortella, Laurent Viel et… Marcel Proust. Un duo avec Enzo Enzo et un autre avec Laurent Stocker, sociétaire de la Comédie Française l’animent aussi.
Un peu de logistique
Le spectacle a lieu au théâtre de l’Essaïon, dans une très belle cave voûtée en pierres de taille dont le mur du fond sert d’écran pour diverses projections, pour évoquer des souvenirs et pour les vidéos des duos ou de certaines chansons. C’est très réussi, tout comme les jeux de lumière et les « nuages » de fumée qui ponctuent la scénographie. Je n’y connais rien en technique mais tout ça semblant dû à la magie d’Antoine Le Gallo, des vidéos et du clip de Laetitia Laguzet, ce serait dommage de ne pas les nommer.
Enfin, côté musique, n’oublions pas Yann Cortella aux claviers, synth-bass, basse, contrebasse, percussions, programmations ; Thierry Garcia aux guitares ; Philippe Drevet à la basse et à la contrebasse pour deux des morceaux ; Tom Saouz pour certains claviers additionnels ; Jérémie L’homme au piano ; Thierry Farrugia au saxophone ; Sylvain Savreux à la guitare 12 cordes ; et Antoine Le Gallo pour la vidéo du spectacle.
Car il ne faut jamais oublier qu’un spectacle est le fruit d’une équipe, d’une pyramide, quand bien même Laurent Viel chante qu’il est « seul et nu ». Une symphonie, en somme.
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LAURENT VIEL
Le petit garçon à l’ours en peluche
Laurent le raconte lui-même : « À la source de ce spectacle, se trouve le petit enfant que j’étais, que je reste. Je me réfugiais tous les soirs dans ma chambre pour écouter les chanteuses et chanteurs de variétés de l’époque, particulièrement Sylvie Vartan. Je suis allé la voir à cinq ans au Palais des Congrès* avec ma maman et ma mamie. Mon premier spectacle. Comment résister à la magie d’une merveilleuse sorcière ! La première de mon histoire. » C’est l’éblouissement, les émotions secrètes, pas forcément encore identifiées, qu’il confie à son ours en peluche et à son oreiller.
* C’est la première chanteuse à s’y être produite.
Mais, en grandissant, il remarque que le dimanche matin, les yeux de sa mère s’embuent et qu’elle entre presque en transe en écoutant la chanteuse Barbara. Il est intrigué et s’interroge. Un soir, en rentrant de l’école, il lui pique un disque et l’écoute en solitaire. Émotion, révélation, ce mot qui nous fait croire à une découverte alors que son vrai sens est re-voiler. Comme lorsque les fils de Noé revoilent la nudité révélée de leur père. Le petit garçon ne se départit pas de son amour pour la blonde mais la brune est devenue, sinon une rivale, une voix supplémentaire dans la nuit, une voix qui l’écorche. La vie est initiation, source de découvertes, des autres et de soi-même.
On n’ est pas sérieux quand on a 17 ans
À 17 ans, Laurent est amoureux. De Sylvie Vartan. Belle, espiègle et qui chante même « comme un garçon ». Mais Barbara l’émeut et le trouble, elle inventorie si bien les blessures qu’on porte en soi, les innées comme celles des prédateurs. Alors, il butine de l’une à l’autre, tiraillé entre la lumière que dégage la première, auréolée de sunlights, et l’ombre où se réfugie la seconde, drapée de noir, pour sussurer jusqu’au cri les douleurs qui la dévorent. Il découvre aussi les femmes de la vraie vie, celle qu’il aimerait tant être surtout. Pour être un objet de désir sûrement. Pour provoquer ces émois chatoyants que peuvent susciter les femmes. Il se sent double. Comme il le crie « tout est pollen ». Alors, il butine. Sans savoir encore qu’étymologiquement, butiner, c’est rapporter un butin. Que c’est comme ça qu’on fait son miel, en grappillant du pollen dans toutes les fleurs rencontrées. Alors oui, il sait enfin vers quoi son destin le porte. Sa vocation est en lui depuis toujours : il sera sur scène, chanteur, musicien, acteur de sa propre vie. Fut-elle décalée. Enfin, par rapport à une norme toute relative.
Être soi, être soie
Son ambiguïté, Laurent Viel la vit avec amour, sans la moindre agressivité, sans ostentation démonstrative ni vulgaire. Il est mû par l’admiration, ce sentiment d’étonnement mêlé de plaisir exalté. Il voudrait être les deux faces de Janus sans que l’une abîme l’autre car elles ne sont pas adversaires mais complémentaires. Il aime, et n’est-ce pas là l’essentiel ? N’est-ce pas finalement le grand commandemant de la création ? Être soi bien sûr, pleinement, mais être « soie » aussi pour tout ce qui ne nous ressemble pas et ne mérite pas forcément l’incompréhension, et encore moins la haine. Laurent Viel est soie et velours. Passez votre chemin si vous n’entendez pas son langage qui est langage d’amour. Cela n’exclut pas les chagrins bien sûr, « des chagrins de baudruche » comme il les appelle. Mais il est des mots doux qui pansent les maux d’où… qu’ils viennent. Il suffit de ne pas oublier l’enfant tâtonnant qu’on a été.
Sur scène, il expose à nu sa vie intérieure avec ses mots, d’un très beau timbre de voix, mais aussi avec sa chair. Il vit ses chansons — mieux, il les fait resplendir — tant il fait corps avec elles. Il n’est que charme et séduction. Il faut bien que le corps exulte chantait Brel. Et Viel exulte à ce jeu-là. C’est un félin dont la gestuelle se fait parfois reptilienne. Il n’est jamais autant lui-même que lorsqu’il danse — très belle chorégraphie de Raphaël Kaney Duverger — et met sa féminité en avant. Sa pudeur est à fleur de peau et pourtant, c’est lors de ces démonstrations physiques qu’il révèle peut-être le mieux son for(t) intérieur, sa sensibilité défensive se muant alors en sensualité offensive. Il est duel, aux deux sens presque opposés de ce mot : double… et en dualité. Néanmoins, il suit toujours « le fil du courant » qui ne peut que le porter d’amont en aval. Il ne fuit pas ce qu’il est, ce qu’il voudrait être, ce qu’il fantasme d’être, mais d’une certaine manière, quoi qu’il dévoile, il ne peut s’empêcher quand même de « sexe… cuser ». Il en est d’autant plus touchant. Si mi la ré sol do fa. Si mi la ré si mi la ré si sol do fa.
Qu’est-ce qu’il y a d’aussi bon qu’embrasser un garçon ?
« Ce ne sont pas les filles qui me démentiront »… dis-tu.
Aussi, je t’embrasse… à défaut de t’embraser, n’étant pas Sylvie et ma voix ne s’exprimant toujours que sur le papier.
Mais rassure-toi. Je suis aujourd’hui une vieille dame.
Mon baiser est comme ceux que tu faisais à ton teddy bear, ton ours aux poils collés et à la truffe usée par les baisers d’avant ceux du désir.
Ne crois pas que j’ai peur de vieillir, je suis déjà vieille. Mais il me plaît de te faire remarquer que « rides » est l’anagramme de désir. Eh oui, heureusement, il n’y a pas d’âge pour s’arrêter de rêver. Ce serait trop cruel. Encore plus que de réaliser qu’on a loupé des coches et des couches où il eut été bon de s’allonger. Chacun son « karma-sutra ».
Non Laurent ! C’est tout simplement le baiser de Pimprenelle à Nicolas. Le baiser d’une grande sœur compatissante et admirative qui a été « touchée, coulée ».
Et qui t’aimera encore plus de t’avoir rencontré si tard.
Blandine Vié