Le « Nègre en chemise »
Cet entremets tombé en désuétude eut son heure de gloire entre les deux guerres, à l’époque des années folles, des cocottes, du jazz, de Joséphine Baker et de sa « Revue nègre », quand les bourgeois endimanchés allaient au café-concert, au cabaret, aux Folies Bergères et au Moulin Rouge pour s’encanailler.
S’il est tombé dans les oubliettes aujourd’hui, c’est beaucoup à cause du mot nègre, mot dont beaucoup ont dévoyé le sens, raison pour laquelle d’aucuns (d’autres évidemment…) le jugent désormais raciste, pudibonderie qui ne rend pas hommage à la négritude, bien au contraire. Cette négritude mise en exergue par Sartre, Léopold Sédar Shengor et Aimé Césaire. Sartre a défini la négritude comme : « la négation de la négation de l’homme noir », Senghor pensait qu’elle était : « un fait, une culture », et Césaire : « le rejet d’une assimilation culturelle ».
Rebaptiser le mot nègre — même en pâtisserie — d’un nom euphémique n’est que basse complaisance, bien plus offensante à mon sens, n’en déplaise aux chantres du politiquement correct.
Le pire, ce sont ces manuels de cuisine (ou ces sites internet) où l’on passe des recettes généralement intitulées « Noir et blanc » — un nom donné à nombre de desserts au chocolat nappés de Chantilly ou de crème anglaise à cause du contraste de couleurs — mais dont on fait pourtant suivre le titre de la mention entre parenthèses : « (anciennement nègre en chemise) ». Cette parenthèse n’est-elle pas on ne peut plus hypocrite ?
Nègre signifie noir étymologiquement dans toutes les langues d’origine latine (du latin niger, noir). Et c’est un beau nom. Comme sont beaux les negro-spirituals. Comme est beau l’Art nègre (et c’est une ancienne élève de Jean Laude qui vous le dis). Comme est beau le Niger.
Quant à moi, il m’arrive régulièrement d’être « nègre » moi aussi, à mes heures. Tiens ! on ne dit pas « négresse » pour une femme alors qu’on afflige pourtant les mots « auteur » et « écrivain » d’un « e » aussi vilain que ridicule pour défendre la cause du féminisme ! Être « nègre », ça signifie écrire en sous-main pour une personnalité, voire un autre auteur plus connu, qui signeront ma prose de leur nom. Sans doute emploie-t-on ce terme par comparaison avec l’esclavage, à l’époque — pas toujours révolue malgré son abolition officielle en 1848 grâce à Victor Schoelcher — où les nègres travaillaient pour les blancs. Et ça me rend indéfectiblement solidaire.
C’est la raison pour laquelle je publie ce papier aujourd’hui 23 août, « Journée Internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition ».
Il y a mille et une raisons d’être fier d’être nègre. Et aucune de trouver le mot nègre péjoratif.
Car s’il est un crime, ce n’est pas d’être nègre, mais d’être négrier.
La recette
La recette originelle n’est pas vraiment définie. Il semblerait que ce soit une sorte de bavarois moulé dans un moule à charlotte et servi avec une crème anglaise. Plus rarement d’une marquise au chocolat, pareillement nappée. En tout cas d’un entremets, pas d’un gâteau.
Certains manuels de cuisinières (Ginette Mathiot) parlent tout bonnement d’une mousse au chocolat servie démoulée (pour pouvoir la démouler, il faut la verser dans un moule très légèrement huilé avant de la placer au froid) et nappée de crème fouettée.
Voici la recette qui me paraît la plus crédible. Mais la photo n’est pas contractuelle, c’est plutôt un mix des deux.
Nous en mettrons une autre en ligne à notre prochain essai.
Préparation : 30 min
Cuisson : 10 min à peine
Froid : 12 h au moins
Pour 4 à 6 personnes : 1 litre de lait entier – 1 gousse de vanille – 12 jaunes d’œufs extra-frais – 200 g de sucre en poudre – 5 feuilles de gélatine (10 g) – 50 cl de crème liquide (UHT) – 200 g de chocolat noir riche en cacao
Préparez la crème anglaise : faites bouillir le lait dans une casserole avec la gousse de vanille fendue en deux et bien raclée. Laissez infuser hors du feu.
Fouettez les jaunes d’œufs et le sucre en poudre au batteur électrique dans un saladier et travaillez jusqu’à ce que le mélange blanchisse et forme le ruban.
Incorporez le lait tiédi (après en avoir ôté la gousse de vanille), en délayant peu à peu.
Faites ramollir les feuilles de gélatine dans un bol d’eau froide.
Reversez la crème dans la casserole rincée, portez sur feu doux. Laissez cuire sans cesser de remuer à la cuillère en bois jusqu’à ce que la crème prenne une consistance veloutée et nappe le dos de la cuillère, mais surtout sans laisser bouillir. Retirez aussitôt du feu.
Versez la moitié de la crème anglaise dans un saladier froid pour arrêter la cuisson. Mélangez souvent pendant que la crème refroidit pour empêcher qu’une peau ne se forme en surface.
Dès qu’elle est refroidie, couvrez la crème anglaise du saladier de film étirable et mettez-la au réfrigérateur.
Faites fondre le chocolat au bain-marie.
Essorez les feuilles de gélatine avant de les faire dissoudre dans la crème anglaise chaude restée dans la casserole.
Incorporez le chocolat fondu à la crème de la casserole. Délayez. Laissez refroidir complètement.
Fouettez en Chantilly la crème liquide très froide (jusqu’à ce qu’elle forme des crêtes mousseuses et fermes).
Incorporez-la très délicatement à la crème au chocolat refroidie.
Versez la préparation dans un moule à charlotte de la taille adéquate. On peut beurrer le moule au préalable pour faciliter le démoulage.
Placez le moule au réfrigérateur pendant 12 h.
Pour servir, trempez le fond du moule quelques secondes dans de l’eau chaude. Posez un plat de service creux à l’envers sur le moule et retournez l’ensemble d’un coup sec (au-dessus de l’évier). Versez la crème anglaise du réfrigérateur tout autour.
Servez très frais.
Dégustez et vous m’en direz des nouvelles !
Blandine Vié
Christian Callec
23 août 2013 @ 7 h 29 min
Sois heureuse, chère Blandine… Un ‘nègre’ au niveau travail donne au moins l’impression d’une personne en chair et en os… chez nous aux Pays-Bas nous employons le terme anglais de ‘ghost-writer’ qui est encore moins personnel… nous ne sommes que des fantômes impalpables, donc inexistants… 😉
Bernard Pichetto
23 août 2013 @ 8 h 48 min
Bonjour,
Et il en est de même pour la Tête de nègre, pâtisserie en voie de disparition…
http://gousses2vanille.canalblog.com/archives/2012/05/10/24229678.html
Amicalement,
Bernard.
Paule
23 août 2013 @ 9 h 55 min
Bravo pour ce billet, Blandine !
La chronique de Greta Garbure |
1 septembre 2013 @ 7 h 04 min
[…] http://gretagarbure.com/2013/08/23/desserts-de-grand-mere-5/ […]
P’tit billet d’humeur |
3 septembre 2013 @ 7 h 05 min
[…] * BN : Bibliothèque Nationale. * Piges : une pige est un article écrit par un journaliste indépendant qui vend sa copie à différents organismes de presse. * Piges : années en argot. * Feuillets : un feuillet est une page écrite correspondant à un calibre donné défini par la convention collective de la presse : 25 lignes de 60 signes, soit 1500 signes. * Signes : nombres de caractères contenus par un feuillet, à savoir, lettres, ponctuations, espaces. * Déjà que blogueuse ! Déblogueuse me conviendrait mieux… * Négresse, féminin de nègre. Employé ici dans son sens littéraire d’écrire un ouvrage à la place d’un autre (généralement une personne connue) qui le signera. Mais comme c’est bizarre : les féministes revendiquent écrivaine et auteure avec un E final, mais je n’en ai jamais entendu aucune endosser le terme négresse ! (À ce sujet voir : http://gretagarbure.com/2013/08/23/desserts-de-grand-mere-5/) […]
Les mots des mets (la saveur cachée des mots) |
9 septembre 2014 @ 6 h 00 min
[…] C’est le nom d’un dessert tombé en désuétude qui se compose d’un gâteau ou d’un entremets au chocolat (riz au lait) — donc de couleur marron —, ensuite nappé de crème anglaise ou de crème Chantilly, donc de couleur blanche. On comprend bien l’allusion ! Pour en savoir plus, c’est là : http://gretagarbure.com/2013/08/23/desserts-de-grand-mere-5/ […]