Le marché de la Place Maubert à Paris 5ème
Tiré au cordeau le long du boulevard Saint-Germain, entre la rue des Carmes et la fourche formée par la rue Monge et la rue de la Montagne Sainte-Geneviève, le marché de la place Maubert* a des allées quadrillées comme un jeu de dames. C’est un joli petit marché très vivant fréquenté à la fois par les vieilles gens du quartier qui viennent y faire leurs courses depuis des lustres avec un filet à provision en résille de coton ou un cabas de toile noire, et par une population plus branchée qui a visiblement les moyens de consacrer un budget conséquent à la nourriture si l’on en juge par le nombre important de bouchers, de volaillers et de poissonniers qui se côtoient malgré la toute petite superficie et la rangée de magasins d’alimentation plutôt cossus côté trottoir.
La dominante est bio avec notamment un très beau marchand de légumes par conséquent issus de l’agriculture biologique à l’angle Monge : légumes-racines tels que carottes, navets, céleris, mais aussi légumes oubliés comme les panais, les choux-raves et les orties, vendues en bouquets. Plus fashion, les courgettes rondes, les poivrons jaunes et les tomates cœur de bœuf font déjà leur show malgré le froid. Vu la saison, certains doivent quand même bien être d’importation. Alors, bio quand même ? En tout cas, chaussée de charentaises et emmitouflée dans un gros manteau gris, une vieille femme qui retient l’attention à cause d’une barbe grise longue comme la main est en train de choisir avec le plus grand soin des légumes à la pièce visiblement destinés à mitonner une soupe poireaux-carottes-pommes de terre tout ce qu’il y a de plus classique. Assis sans laisse sur le macadam, un chien observe le spectacle d’un regard attentif. Attend-il que sa maîtresse ait fini ?
Plus loin un marchand de tisanes fait penser aux herboristes d’autrefois en plus aseptisé. Un étal ne propose que des œufs roux de Marans bien rangés dans leurs alvéoles de carton. Impeccablement rangés également — avec un ordre qui frise même la maniaquerie — les fruits secs, les fruits confits, les citrons confits, les olives et les épices d’un marchand méditerranéen de produits de « là-bas ». Du coup, on regarde sans oser y toucher. D’une allée à l’autre, les poissons sont beaux, la charcuterie est belle, la viande est belle, les volailles sont belles, aussi les couperets tombent, sectionnant des os, des têtes et des pattes, des couteaux tranchent dans le vif des chairs rouge sombre, des mains dépendent les andouilles et les boudins, des feuilles de papier sulfurisé se font linceuls en crissant sous les doigts experts, les fléaux des balances oscillent sans répit. On devine que les petits plats qui se préparent sont des petits plats bourgeois, qu’on est dans un quartier où la blanquette de veau, le navarin de mouton et la poule au pot ont encore droit de cité.
En plein cœur de ce marché tendance terroir, Mouthia, un africain — africain d’Afrique tandis que son ex est africaine des Antilles précise-t-il, d’où le métissage des recettes — fait frire des acras de morue et des beignets de bananes plantain qui embaument et que tout le monde s’arrache. Il vend aussi des boudins créoles et d’autres plats épicés selon diverses graduations (doux, medium ou piquant), tous plus appétissants les uns que les autres. Comme c’est écrit à la main sur une pancarte en carton suspendue par deux pinces à linge à un cintre accroché derrière le maître de cérémonie, on est ici à « L’Escale tropicale ». Et paradoxalement, c’est plutôt rafraîchissant…
Allez, raflons les derniers acras et allons les déguster avec un verre de sancerre au café du bas de la rue des Carmes !
* La place Maubert doit son nom, par corruption à un abbé de Sainte-Geneviève qui avait permis d’y construire des étaux de boucherie au XIIème siècle.
Blandine Vié