Le Livarot
C’est bien simple : avec ce fromage normand,
il y aurait de quoi écrire tout un roman !
Originaire du village éponyme Livarot,
dans le Calvados, en plein cœur du Pays d’Auge
— où il pleut souventes fois, au point qu’on y patauge…
mais c’est aussi pour ça que les verts pâturages
pourvoient les vaches en bon herbage —
il s’appela d’abord « angelot »,
comme en atteste le Roman de la Rose,
poème d’amour courtois
écrit au XIIIe siècle, non sans glose,
par Guillaume de Lorris qui, ma foi,
avait donc des connaissances
en matière de fromages de France.
Connu des amateurs depuis fort longtemps,
ce fromage de Normandie
— rapporte aussi en 1693 un certain intendant
du nom de Pommereu de la Bretesche —
était déjà de consommation courante à Paris
où l’on sait que de tout temps,
— surtout s’il a de l’argent —
le gourmet se pourlèche.
Il n’est jusqu’à Thomas Corneille
(le frère de l’autre, et rouennais tout pareil)
qui n’en ait, lui aussi, fait tout un fromage,
puisqu’il lui a rendu un hommage
tout ce qu’il y a de plus officiel
dans son Dictionnaire universel
géographique et historique,
ouvrage pour le moins éclectique,
dans les toutes premières années
du dix-huitième siècle publié.
Enfin, mieux qu’un poème,
les chroniqueurs du dix-neuvième
le qualifiaient quant à eux
de « viande du pauvre » — excusez du peu ! —
en raison de ses qualités nutritives.
De mieux, que veut-on qu’on écrive ?
Voilà pour l’histoire…
sinon pour la gloire.
Mais passons aux choses pragmatiques,
et cette fois, géographiques.
Car pour être reconnu livarot,
fromage exclusivement fermier,
au pays d’Auge, uniquement il faut
être fabriqué comme il sied,
Ce qui lui vaut d’ailleurs une AOC,
récompense de son authenticité.
L’aire d’appellation est en effet très restreinte :
département du Calvados seulement,
et dans l’Orne, quelques cantons.
Impossible d’échapper à cette contrainte
pour avoir droit légitimement
à l’officielle appellation.
En somme, une Appellation d’Origine Contrôlée,
c’est une manière de pedigree.
La fabrication doit elle aussi,
à la lettre, être suivie.
Sans le moindre bémol.
C’est un fromage à pâte molle,
à base de lait de vache cru.
Dans de grands chaudrons contenu,
le lait mûr est d’abord emprésuré
pour l’obtention du caillé.
Celui-ci est alors tranché et malaxé,
universel procédé
pour accélérer son égouttage
avant qu’il ne devienne fromage.
Puis, brassé à la main,
il est moulé avec soin
dans les « cliches »
— chacun sa niche —
formes en lanières de bois agrafées
ou en fer blanc — tradition ou modernité —
posées sur des toiles :
le spectacle est magistral.
Là, plusieurs fois retourné,
le fromage va peu à peu s’assécher.
Alors salé au gros sel,
maintenant, il peut prendre ses quartiers
au hâloir (la pièce qui tous les recèle)
pour être ressuyé.
C’est là qu’il va prendre le « bleu »,
une fine couche de moisissure
qui le recouvre comme une vêture.
Toutefois, on élimine cette petite laine
deux fois par semaine
par des lavages minutieux
à l’eau salée tiède et teintée au rocou.
Bref, il est régulièrement raclé,
ce qui peu à peu, va permettre
que la coloration pénètre.
Ainsi, il devient d’un beau roux
tirant sur le brun orangé,
et acquiert une croûte visqueuse,
et même, carrément poisseuse.
Il est enfin affiné en cave fraîche
(entre 8 et 10 °C approximativement)
à un fort taux d’humidité (85 à 90 %),
où, pour l’empêcher de s’affaisser,
on commence par le cercler
de cinq « laîches »,
— autrefois joncs aquatiques,
aujourd’hui bandes de papier vert —
qui font penser aux galons militaires,
en l’occurrence cinq galons parallèles
alignés sur le képi d’un colonel…
Ce qui lui a d’ailleurs valu son surnom.
Or, d’un point de vue hiérarchique,
être colonel, c’est commander à tous les troufions
puisque c’est le grade le plus élevé
des officiers supérieurs des armées
de terre et de l’air.
Même que ça le rend pas peu fier
notre livarot,
quand il est sur un plateau.
D’une belle rectitude,
il a la militaire attitude…
Selon la durée du cavage,
forcément, il n’a pas le même âge.
Le grand livarot classique
— qui réclame 5 litres de lait
et 60 jours d’attention
pour son cycle de fabrication —
a, c’est mathématique,
la forme d’un disque épais
de 12 cm de diamètre
et de 5 cm d’épaisseur.
Mais de tous les livarots, le maître
— et de loin le meilleur —
c’est celui affiné à cœur,
ce qui représente 4 mois de labeur.
Sous sa croûte lavée
de couleur orangée,
la pâte est tendre et « goûtue »,
d’un jaune d’or soutenu,
et très parfumée.
Plus ou moins piquante,
sa saveur ample et pénétrante
peut, comme celle du gibier,
avoir même des notes faisandées.
C’est ainsi d’ailleurs
que la préfèrent les vrais connaisseurs
qui la dégustent alors en prenant leur pied.
Croix de bois, croix de fer,
si je mens, je vais en enfer.
Dans la famille livarot
il y a aussi toute une fratrie,
du plus grand au plus petit :
trois-quarts de livarot,
d’un diamètre de 10 cm
petit livarot, de 9 cm,
quart de livarot, de 7 cm,
d’une hauteur de 4 cm
seulement pour les plus petits.
Évidemment, selon leur taille,
leur poids varie aussi :
de 350 à 600 grammes,
du moins avant qu’on ne les entame !
Bon… tous sans exception
ont 40 % de matière grasse minimum.
Mais faut voir aussi le calcium
pour la santé tellement bon !
Pour acheter notre normand,
le créneau idéal
va de la fin du printemps
jusqu’à la période automnale.
Texte © Blandine Vié