Le banon, un fromage transformiste
Né dans les Alpes de Haute-Provence,
dans un village près de Forcalquier
dont il a pris le nom : Banon,
ce petit fromage,
c’est un peu une pochette-surprise.
Il ne manque pas d’élégance
avec sa robe de feuilles de châtaignier,
mais il faut savoir que selon la saison,
glisser sa main sous l’habillage
peut entraîner la méprise.
À l’étal, on dirait qu’il fait du racolage.
Tout enrubanné, il montre ses atours
et suggère en toute indécence :
« Déshabillez-moi !
Allez ! Déshabillez-moi ! »
Mais attention à l’effeuillage !
Car il n’est pas toujours
celui qu’on croit, donc… prudence !
Pour mieux nous intriguer,
il a une garde-robe changeante :
tantôt robe marron foncé,
tantôt robe verte et pimpante,
toutes deux ceinturées de raphia
pour corseter la chair à l’étroit.
Mais cet habit en rien ne présage
qui se cache dessous, après délaçage.
En effet, sous son jupon,
cette pâte molle
peut provenir de trois laitières :
de chèvre ou de vache au printemps et en été,
de brebis ou de vache en hiver,
de vache pendant les intersaisons !
De quoi rendre fol
même un fromager !
Parce que bien sûr,
même si elles paissent toutes
sur les contreforts de la montagne de Lure,
et que, par conséquent,
la même herbe elles broutent,
il va s’en dire, évidemment,
que ces trois-là ne se ressemblent pas,
et que leur lait n’a pas la même saveur,
ni au pis, ni sous forme de caillé,
ni sous forme de fromage.
Un vrai casse-tête pour faire son choix,
d’autant que le farceur
ne s’habille pas seulement
en fonction du calendrier,
mais aussi selon son affinage,
qui n’a pas lieu obligatoirement.
Récapitulons :
en général, si de vert il est vêtu,
il est frais et du printemps,
de chèvre… mais possiblement
de vache aussi.
Mais si son habit feuillu
est marron,
il est d’automne et d’hiver,
donc de brebis…
ou de vache, faut s’y faire !
Ou alors, c’est qu’il a passé
deux à trois semaines
— c’est une moyenne —
en hâloir pour être affiné.
Vous me suivez ?
Ça y est ? c’est rentré ?
Vous êtes sûr d’avoir bien compris ?
Eh bien ! ce n’est pas fini !
Parce qu’une fois égoutté
et moulé en forme de petit palet
légèrement bombé
comme un galet,
pesant de 100 g à 130 grammes
pour un diamètre de 7 à 8 cm
et une épaisseur de 2,5 à 3 cm,
pour compléter la gamme,
il peut être aussi commercialisé…
nu, absolument tout nu,
frais, crémeux et blanc,
simplement vêtu
de sa croûte naturelle.
Ou — car ce fromage singulier
sait décidément
être pluriel —
dans la sarriette sèche être roulé,
autant dire empaillé.
Et comme la sarriette, en provençal,
on l’appelle pebre d’aï
— poivre d’âne en langage plus hexagonal —
ce banon-là, c’est le banon pebre d’aï,
à la croûte légèrement bleutée
une fois le foin raclé.
Le banon, vous l’aurez compris,
présente donc des saveurs différentes
selon les époques de l’année
et la couleur de son habit.
Avec toutefois une constante :
un taux de matières grasses oscillant
entre 45 à 50 %.
Saveur acidulée à prononcée,
fleurant quoi qu’il arrive
les senteurs provençales
des bêtes menées à l’estive
et des herbes méridionales.
Autrefois, ce n’était pas comme ça.
Le banon ne se dégustait
que vers la fin de l’année.
Selon l’usage,
on enveloppait toujours les fromages
de feuilles de châtaignier séchées
ficelées par des brins de raphia.
Ensuite, on les plaçait
dans des jarres en terre
alternés avec du thym, du poivre,
et d’autres épices encore :
des clous de girofle et du laurier.
Bien nichés dans ce havre,
ils étaient ensuite recouverts
d’eau-de-vie de pays à ras bord,
de la gnôle, si vous préférez !
On bouchait alors de manière hermétique
— pour éviter les hôtes indésirables ! —
puis on laissait macérer jusqu’à Noël.
Et là ! enfin arrivé sur la table,
après l’avoir déballé comme un paquet-cadeau,
on le dégustait à la pointe du couteau
et on découvrait un goût sensationnel,
très piquant et très aromatique.
Mais tout évolue en ce bas monde,
et cette pratique est devenue moribonde.