Petit plateau de chèvres affinés (de mi-secs à secs) avec quelques accords vins audacieux
La grande famille des fromages de chèvre peut se consommer pratiquement à tous les stades de leur évolution, de frais juste après avoir été égouttés à différents stades de leur maturation qu’ils poursuivent sur des clayettes dans une pièce fraîche. Mais en moyenne, la durée de leur affinage n’excède généralement pas trois à quatre semaines. Cependant, une fois sortis du hâloir, rien n’interdit au producteur, au fromager ou au consommateur de les laisser encore vieillir un peu pourvu qu’il le fasse dans de bonnes conditions d’hygiène. Nous ne passerons ici en revue (par ordre alphabétique) que quelques-uns de ces fromages, tant leur diversité est grande toutes régions confondues.
Banon : chèvre des Alpes de Haute-Provence enveloppé d’une robe de feuilles de châtaigner vertes… mais qui peut être aussi de vache au printemps ou en été. Le reste de l’année, il n’est jamais de chèvre, donc quand les feuilles sont rousses, il est de brebis ou de vache. Il a une forme de palet bombé pesant de 100 à 130 grammes pour un diamètre de 7 à 8 cm et une épaisseur de 2,5 à 3 cm.
Le poème caprin que nous publierons demain vous permettra de vous y retrouver.
Boutons de culotte : ces petits fromages de chèvre fermiers (plus rarement de vache et de chèvre mélangés) du Mâconnais doivent leur nom à leur taille réduite, à peine plus grosse qu’un bouton. En fait, ce sont des petits cylindres dont la croûte se forme naturellement et devient de plus en plus brunâtre en séchant. Ils se consomment mi-secs ou très secs (leur pâte est alors très cassante), en une seule bouchée.
Charolais : fromage au lait cru de chèvre, ce cylindre un peu renflé mesure environ 7,5 cm de haut et 6,5 cm de Ø, et pèse 250 g. Son affinage dure 2 semaines pendant lesquelles sa croûte se couvre d’un duvet, d’abord blanc puis bleuté tandis que sa pâte blanche, souple, tendre et onctueuse s’affirme.
Crottin de Chavignol : petit chèvre berrichon (fabriqué dans le Sancerrois) en forme de « barrique » qui mesure 5 cm de diamètre sur 2 cm d’épaisseur. C’est un fromage à pâte molle et à croûte naturelle fleurie blanche ou bleue. Sa pâte blanche ou ivoire est lisse et ferme, fondante en bouche. À saveur de noisette tendre quand il est jeune, au bout de 15 à 18 jours il se couvre d’une flore naturelle de pénicillium bleu qui le colore (taches bleutées) et lui fait prendre des arômes de sous-bois et de champignons. Entièrement couvert de duvet bleu, sa saveur est plus marquée voire piquante.
Amusant à savoir : son nom vient du terme berrichon « crot » qui signifie trou et qui désignait le lieu où les femmes lavaient leur linge. La terre argileuse qui bordaient ces crots servait à la création de moules à fromages.
Mâconnais : ce petit chèvre tronconique en forme de bonde de tonneau est fabriqué au sud de la Bourgogne. Il pèse entre 50 et 65 g. Sa pâte est molle, blanche, lisse et ferme ; sa croûte fleurie, de couleur crème ivoire tirant sur le bleuté ; sa texture fine et sa saveur salée.
Picodon : son nom vient du patois — picaoudou en langue d’Oc — et signifie « le petit », voire pour certains « le petit qui pique ». Mais en vérité, selon l’affinage, la période et le lieu, ce petit palet de chèvre a des goûts démultipliés qui vont de la caresse à la rocaille. À pâte molle et croûte naturelle fleurie, il se présente sous forme d’un palet de 5 à 7 cm de diamètre et de 1,8 cm à 2,5 cm de hauteur, pesant environ 60 g. Sa pâte blanche ou jaune a une texture fine, régulière ou souple qui peut apparaître légèrement cassante après un affinage prolongé. Elle offre un cœur tendre, un goût à la fois franc, délicat et subtil qui révèle des arômes de noisette. Selon le degré d’affinage, la croûte est blanche ou bleuâtre. Il faut distinguer le picodon de l’Ardèche et celui de la Drôme. Le picodon affiné méthode « Dieulefit » (croûte lavée) subit un affinage prolongé (au moins un mois) en cave humide et entrecoupé de lavages à l’eau claire. Cela donne un fromage plus fort de caractère et à la saveur plus prononcée.
Rocamadour : petit chèvre produit dans le Quercy (Lot principalement avec un léger débord aux franges de la Corrèze, de la Dordogne, du Tarn et Garonne et de l’Aveyron). Son nom a longtemps été cabécou de Rocamadour, cabécou signifiant petite chèvre en langue d’Oc. Il se présente sous la forme d’un cylindre aplati ou palet de 35 g. Sa peau est solidaire, striée, légèrement veloutée, de couleur blanche pouvant virer sur le crème ou le beige foncé. Sa pâte est alors onctueuse et crémeuse. Sa saveur aromatique vient de la richesse aromatique du lait, due à la flore du causse, composée d’aubépines et de genévriers.
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Quelques accords subjectifs (et non exhaustifs) avec des vins
Sur les fromages mi-secs
• Châteauneuf-du-Pape blanc 2018 du domaine de La cour des Papes
Grenache blanc, clairette et roussanne, les trois cépages qui composent cet assemblage sont récoltés à maturité optimale, ce qui en fait d’emblée un vin blanc plus mûr que son âge, comme on le dirait d’un jeune homme brillant qui force l’admiration de ses pairs. Sa robe jaune pâle est nitescente, lumineuse comme une topaze impériale. Le jeune homme porte beau et nul doute qu’en prenant de la bouteille — car il a un potentiel de garde fabuleux — il se patinera d’un peu de vieil or en guise de tempes argentées.
Au nez, se révèlent des notes florales (fleurs blanches) et d’agrumes mais tout en subtilité, sans racolage. En arrière-plan, on devine aussi des effluves de poire, de beurre et de truffe blanche en devenir : délicatesse extrême.
L’attaque en bouche est ample, volumineuse, puis le vin se fait soyeux au palais. Il est équilibré, avec une acidité qui apporte une belle fraîcheur n’altérant pas le velouté et se terminant par une finale saline. Il est donc parfait pour accompagner un plateau de chèvres auxquels un peu d’affinage a donné une maturité en train de s’épanouir. Le côté gras du vin répond à la texture crémeuse ou fondante des fromages et sa minéralité à leur côté salin. Un vin rare pour un accord élégant et riche qui a de la grâce.
Prix : 25,20 € chez les cavistes et au caveau des Grandes Serres à Gigondas. Tel : 04 90 65 86 55
Sur les fromages secs
• Côte chalonnaise Montagny 1er cru blanc Clos du Chaudron 2016 du Château de Davenay
100% chardonnay, cette côte chalonnaise s’habille d’or blond clair limpide. Le nez exhale des parfums de fruits exotiques (mangue, ananas, litchi) qui s’effacent pour faire place à des arômes plus sobres de fruits à chair blanche (poire) et même plus délicats de fleurs blanches (fleurs d’acacia et d’aubépine). Une gamme de senteurs très nuancée qui répond à la palette aromatique des différents affinages d’un plateau de fromages de chèvre.
En bouche, l’attaque est nette et franche, généreuse et gourmande, propice à épouser des textures et des saveurs différentes grâce à sa richesse de sensations que le vin développe quand il roule d’une joue à l’autre, enrobant les pâtes crayeuses et salines des fromages caprins de ses propres notes crayeuses et salines, comme par un effet de boomerang. Sur des pièces à la sécheresse affirmée, le vin exprimera des notes de bonbon anglais revigorantes.
Ce blanc fera merveille sur la pléthore de chèvres bourguignons car, en bon compagnonnage, ils se mettront mutuellement en valeur.
Prix : 22 € chez les cavistes et sur https://famillepicard.fr/boutique.html
• Chardonnay Granites d’Or 2018 du domaine Franck Chavy (vin de France)
Ce 100% chardonnay est tout en amabilité. Il est produit sur un terroir granitique et sableux pauvre en matières organiques et dit « squelettique », ce qui fait sans doute qu’il ne manque pas de charpente. Les vignes ont quatre ans et les vendanges sont faites à la main.
Pour ceux qui veulent en savoir plus, cette cuvée résulte de l’assemblage de deux élevages : 2/3 en cuves traditionnelles pour le fruité et la fraîcheur, 1/3 en fût neuf de 350 l pour le gras et la complexité.
La robe est d’un beau jaune clair ensoleillé (soleil du matin). Au nez, s’expriment en tout premier lieu des arômes de fruits exotiques sur lesquels viennent se superposer les fragrances d’un bouquet de fleurs blanches miellées qui font penser à des beignets d’acacia. Le tout évolue vers la brioche. En bouche, on retrouve la même palette aromatique à laquelle s’ajoutent des notes épicées et beurrées.
C’est un vin d’une grande pureté avec de la tension et de la vicacité qui s’exprime pleinement sur le granite tout en étant d’une grande fraîcheur.
Bien qu’il puisse se boire dès l’apéritif et sur des poissons (lotte) ou crustacés nobles (langoustines, homard), il est épatant avec des chèvres secs auxquels il apporte rondeur et gras dans une union très complémentaire.
Prix : 10,50 € en vente directe ou en ligne.
Franck Chavy vigneron
Lachat, 69430 Régnié-Duette
www.domainefranckchavy.fr
• Viognier « Bel Serrat » 2019, IGP Coteaux de Peyriac du domaine Tour boisée
Ce 100% viognier pousse sur un coteau argilo-calcaire sur bancs de grès orienté Est-Ouest et regardant vers le Nord. Cela a son importance car la parcelle est battue par différents vents qui influent sur la salubrité de la parcelle — les vents balaient tout quand ils soufflent — et apportent chacun son influence. Ainsi à l’ouest, les grands vents sont filtrés par un bois de pins tandis qu’à l’est un rang d’amandiers filtre quant à lui les vents marins tièdes pour maintenir la parcelle au frais la nuit. Quand la nature apporte son aide au vigneron, quelle aubaine ! La vigne a sept ans et se compose de trois variétés de viognier, toutes originaires de Condrieu, en collaboration avec la chambre d’agriculture. Je vous le raconte parce que le but de cette expérience est d’étudier le comportement de ces cépages sur des parcelles encore jamais plantées de vignes et conduites en agriculture biologique. Surtout, la vendange 2019 est la première récolte. Je vous passe les étapes de vinification mais pas l’élevage de cinq mois sur lies fines car c’est lui qui apporte au vin un fruité délicat et un beau volume en bouche.
La robe est d’or clair brillant. Le nez est frais et gourmand avec des arômes de pêche blanche et un bouquet de fleurs blanches printanières (fleurs d’acacia) mais aussi de genêts. Enfin la bouche est élégante, sur la poire, avec une légère amertume en finale.
Très réussi pour un premier millésime, ce bel serrat — beau coteau en occitan — est à réserver à des fromages de chèvre affinés dont le caractère affirmé sera maté avec civilité et charme par le tempérament du vin.
Mais une pette précision pour la prochaine fournée d’étiquettes : le mot coteau ne prend pas d’accent circonflexe sur le O.
Prix : 11 € chez les cavistes et au domaine.
Domaine Tour Boisée, 1 rue du Château d’Eau – 11800 – Laure-Minervois
Tél : 04 68 78 10 04
www.domainelatourboisee.com