La mimolette française
À l’origine fabriquée en Hollande,
elle était pâle comme une endive
(n’ayons pas peur de l’esbroufe :
osons chicon ou witloof).
Livrée à Anvers, au port,
via la mer du Nord,
elle remontait ensuite l’Escaut
par voie navigable pour arriver en Flandre.
Mais au XVIIe siècle, Colbert fit de l’esclandre
— blocus de la guerre de Hollande (1672-78) —
pour ne plus qu’on la vende,
que d’export on prive
les marchands septentrionaux
et qu’on les mette en fuite.
Et nos vaches alors ?
Elles savent pas faire du fromage peut-être ?
Ainsi décida le ministre de Louis,
quatorzième du nom.
Le fromage, c’est de l’or !
Si nous le fabriquons
dans nos campagnes champêtres,
à nous le profit !
On appelle ça du protectionnisme
(pivot du colbertisme).
Surtout, il souhaitait réapprovisionner
les armées françaises
avec des denrées de conserve
et la belle obèse
était parfaitement adaptée
à ce devoir de réserve…s !
Mais l’infatigable homme d’état
ne s’arrêta pas là.
Pour éviter toute confusion
avec sa désormais cousine hollandaise,
il décida la coloration
de la version française
par l’ajout d’une plante exotique
connue sous le nom de rocou.
Ses graines ont le pouvoir magique
de teindre en roux.
Ainsi, point de contrefaçon !
Malin, le Colbert !
La boule teintée prit le nom
de la ville
où encore aujourd’hui, on la préfère :
« Boule de Lille ».
Ce n’est qu’en 1935, date d’un traité
officiellement ratifié
entre la France et les Pays-Bas,
qu’enfin on la reconnaîtra
sous son appellation de mimolette.
C’est pas chouette ?
Cette tradition de production
persista près du Havre et de Bordeaux,
et surtout près des ports
septentrionaux,
tout là-haut dans le Nord,
où sa consommation s’est intégrée
à travers les âges
au point que la région
s’est depuis spécialisée
dans l’affinage.
La mi-molette
— l’amie mollette ? —
(c’est un fromage à pâte pressée demi-dure)
— encore que vieille, elle ait la tête dure —
a la forme d’une boule légèrement aplatie
de 20 cm de diamètre.
Elle accuse un poids compris
entre 2 et 4 kilos
(au gramme près, je peux pas vous le promettre).
Mais, pour une boule de 3 kilos,
est-ce que vous le saviez ?
faut pas moins de 40 litres de lait entier
(de vache bien sûr, pasteurisé) !
Ça lui donne 40% de m.g.
Sa robe tire sur le gris, disons beige-grisé,
et sa chair est orangée,
tout le monde le sait.
Voilà pour son portrait.
Passons maintenant à sa fabrication.
Un lait riche et aromatique
est transformé dans le respect de la tradition.
Je vous explique :
au carotène et au rocou, préalablement teinté,
il est ensuite emprésuré
pour l’obtention du caillé.
Puis, celui-ci est tranché
et les grains, longuement chauffés,
sont brassés pour accélérer
du petit-lait, l’élimination.
Alors moulés par pression
et salés en saumure
— le sel rend la pâte plus ferme
(c’est pourquoi, à terme,
elle devient demi-dure) ;
il permet aussi une conservation
plus longue, dans de meilleures conditions.
Mais continuons
le processus de fabrication :
la mimolette a une croûte naturelle brossée.
Ça signifie que pendant
les premières semaines,
chaque boule est retournée
et brossée à la main chaque huitaine,
puis une fois par mois seulement.
Des micro-organismes du nom de « cirons »
s’attaquent à la croûte et l’aèrent,
assurant un échange de l’extérieur vers le cœur,
et réciproquement, de l’intérieur vers l’extérieur
jusqu’au bon degré de maturation.
Cet affinage doit avoir lieu dans la bonne atmosphère,
à température et hygrométrie constantes
(15 °C et 90 % d’humidité) :
cette recommandation est importante
et gage de qualité.
C’est donc un affinage lent et soigné
qui caractérise ce fromage en forme de céleri-rave.
Dès qu’elle arrive en cave
— certains disent plutôt hâloir —
ça commence par un véritable rituel
qu’il faut voir pour le croire.
En effet, l’affineur tape sur chaque belle
d’un coup de maillet en bois
pour voir ce qu’elle a dans le crâne !
J’ vous jure, c’est pas une vanne,
les affineurs, ils rigolent pas…
C’est pour tester sa résonance
et vérifier qu’elle ne renferme pas de trous
— des fois qu’elle se prendrait pour un gruyère…
non mais des fois ! —
Remarquez le vrai gruyère non plus, il a pas de trous !
Les gens disent n’importe quoi.
Faut toujours qu’ils parlent à la légère
pour se donner de l’importance.
Toujours est-il que la boule,
elle est groggy, pour sûr.
Du coup, elle roupille tout son soûl
sur sa claie, à la dure.
Ça dure au moins six semaines :
la mimolette jeune est dite alors « gras »
car sa chair est souple sous sa bedaine.
La petite demoiselle
a une délicate saveur de noisette
avec une pointe de sel
qui à peine se décèle
mais empêche la jeunette
d’être traitée de fade coquette
(elle a tellement bonne mine,
ça suscite la jalousie des langues vipérines).
Son sommeil peut aussi durer plusieurs mois :
six pour une semi-étuvée, demi-affinée ou demi-vieille,
douze pour une vieille,
— plus elle vieillit,
plus la belle s’épanouit —
dix-huit à vingt-quatre pour une extra-vieille.
Les amateurs disent que c’est alors une pure merveille
parce ce qu’elle a atteint là toute sa plénitude.
Sa croûte naturelle creusée et dessinée
par le temps est dite « mitée »
car les fameux cirons
(de leur vrai nom
tiroglyphes de la farine)
en permanence y cheminent
et sans discontinuer y caracolent.
tellement ils en raffolent
Ce sont en fait des acariens
visibles à l’œil nu
puisqu’ils mesurent de 0,5 à 1 millimètre.
Mais ces petites bêtes toutes menues,
ces pauvres petits êtres
font peur aux Américains
qui interdisent l’importation
de la mimolette pour cette raison.
Quant à sa pâte cassante (comme il se doit),
elle développe un arôme franc et généreux,
Un goût puissant, long en bouche, chaleureux.
C’est bien simple : un seul de ses éclats
peut apporter la béatitude.
Si elle a mûri plus d’un an
Et présente une croûte naturelle et mitée,
La mimolette peut assurément
Bénéficier en toute légalité
D’un label rouge ou d’un label régional :
Mimolette du Nord
— sa région de prédilection, c’est normal —
Ou encore
Mimolette vieille
Ou mimolette extra-vieille.
Enfin, ce n’est pas un fromage saisonnier,
Donc, on la trouve toute l’année,
également sous les noms de « boule de Lille »
« vieux Hollande » ou « vieille de Lille ».
© Blandine Vié
cedricàlille
8 novembre 2013 @ 11 h 25 min
La photo du fromager au chevet de ses mimolettes, est-ce Jean François Dubois, fromager à la Finarde ?
J’ai l’impression d’avoir reconnu mon dealer officiel d’extra vieille.
gretagarbure
8 novembre 2013 @ 11 h 46 min
Non ce n’est pas lui !
Ils se ressemblent mais Dubois n’a pas les mêmes lunettes ! 😉
Albert
8 novembre 2013 @ 16 h 00 min
En tant que vieux lillois, que j’en surprenne un a appeler ce fromage délicieux « Vieux Hollande » ….!!!
Sur un plateau | The fisheye of gourmet food &a...
10 novembre 2013 @ 10 h 51 min
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