Champagne brut « Castille rosé » Colin : un champagne de caractère exigeant quant à ses partenaires
Je vous ai déjà parlé de plusieurs des champagnes Colin un peu avant les fêtes, aussi je ne vais pas vous refaire l’historique ni la philosophie de cette maison de champagne que j’aime beaucoup, mais je vous remets l’article à la suite de celui-ci si vous voulez en savoir plus.
La cuvée Castille rosé m’a paru un bon choix pour fêter la Saint-Valentin, mais à certaines conditions. Les partenaires (Valentin et Valentine, mais aussi les accords mets et vins) doivent être judicieusement choisis. Ce sont d’ailleurs de bonnes raisons si on a envie d’une histoire qui dure.
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La grande Histoire et l’histoire de la cuvée
Elle tire son nom d’une belle histoire d’amour, ce qui est un bon préambule pour une Saint-Valentin. Mais…
Il ne faut jamais perdre de vue que Cupidon, le dieu de l’amour (souvent personnifié par un génie ailé car ce n’était pas une divinité primordiale chez les Romains), atteint ses cibles en décochant ses flèches et que des flèches, ça peut faire mal. Son nom même de Cupidon (du latin cupidus, désir, du verbe cupere, désirer) n’est-il pas ambigu puisqu’en langage commun, il désigne un bellâtre (merci du cadeau) et a surtout donné le mot cupide, l’argent primant hélas tout dans ce bas monde ? Sans compter qu’il a fini par épouser Psyché (boujour les scènes de ménage !). Et en version moderne (1985), souvenons-nous de la chanson des Rita Mitsouko « Toutes les histoires d’amour finissent mal » qui confirme l’adage… ou plutôt la sentence ! Mais les prémices sont souvent romantiques et après tout, l’essentiel n’est-il pas de rêver ? Et même dans un couple, chacun ne vit-il pas une histoire différente de l’autre ?
Toujours est-il que la cuvée Castille rosé a une histoire. Née Bianca de Castilla en Espagne, fille d’Alphonse VIII de Castille et d’Aliénor d’Angleterre, épouse de Louis VIII Le Lion, roi de France, mère du roi Saint-Louis, de Charles 1er d’Anjou et d’Alphonse de Poitiers qui furent d’ardents participants aux Croisades, la reine Blanche de Castille (1188-1252) fut une reine de France très influente, avec un caractère trempé, régente — quoiqu’à l’époque le terme n’existât pas encore — par deux fois, mère aimante, belle-mère tyrannique, très pieuse, à la foi inébranlable (à l’espagnole). On disait d’ailleurs d’elle qu’elle avait « courage d’homme en cœur de femme ».
Or, l’hisitoire nous raconte que Thibaut 1er de Navarre (1201-1253), plus connu sous le nom de Thibaut IV de Champagne (car né à Troyes et comte de Champagne), puis surnommé Thibaut le Chansonnier car il fut le trouvère le plus célèbre de son temps en dehors de son activité politique (il fut aussi roi de Navarre), consacra la majorité de son œuvre littéraire à chanter les louanges de la beauté et de la sagesse de Blanche de Castille dont il était de toute évidence amoureux. Enceinte de son douzième enfant à la mort de son époux, les puissants « barons» des baronnies (seigneuries et terres locales dont les propriétaires s’affranchissaient souvent du pouvoir central du XIIIe au XVIIIe siècle) en profitèrent pour mettre la vertu de Blanche de Castille en doute, affirmant que l’enfant qu’elle attendait était celui du comte de Champagne. Ces rumeurs infamantes ne sont pas confirmées par les historiens (dont Xavier Hilary, professeur d’histoire médiévale, ayant publié La dernière croisade chez Perrin) pour qui Blanche de Castille n’aurait su succomber à un péché capital, ayant élevé ses enfants avec une moralité irréprochable, au point que l’un de ses fils deviendra Saint-Louis, seul roi jamais élevé à la dignité de saint. Ils penchent plutôt pour une histoire d’amour malheureuse, Thibaut ayant été toute sa vie fidèle à cette reine qu’il secondait aussi en politique et qui serait restée prude. Thibaut se maria d’ailleurs plusieurs fois et eut mêmes des enfants hors mariages.
Toutefois, se cache toujours une petite histoire derrière la grande qui, si elle n’est vérité devient légende. Sachant que d’après son étymologie, le mot légende vient du latin legenda qui signigie « ce qui doit être lu », dans le sens où il y a toujours un enseignement à tirer d’une histoire qui paraît trop belle pour être vraie.
C’est le cas pour cette cuvée Castille rosé qui doit précisément son nom à Blanche de Castille. C’est à Geneviève, la grand-mère de la famille Colin qu’on doit l’idée d’avoir baptisé une cuvée Blanche de Castille pour un champagne blanc. Pourquoi ? Eh bien parce qu’en 1210, la comtesse Blanche de Navarre, mère de Thibaut IV de Champagne fit élever un château sur le Mont-Aimé qui domine le village de Bergères-lès-Vertus. Or, on raconte que la reine Blanche de Castille s’y rendait pour des rendez-vous galants avec Thibaut et que, pour éviter tout risque d’être découverte, elle s’enfuyait par les souterrains situés sous le château et qui s’étendaient parait-il jusqu’aux marais de Saint-Gond et même jusqu’à Sézanne. Ce champagne étant composé à 90° de Castille blanc, la maison Colin a conservé le nom Castille pour cette cuvée rosée.
Alors, amour courtois platonique ou amours illicites, qu’importe ? Rien qu’avec les noms « Aimé » et « Vertus », la toponymie des lieux interrogr déjà, noms qui ne sont d’ailleurs pas sans une certaine ambivalence.
Personnelemnt, ce qui m’intéresse tout autant, c’est que la tradition veut que ce soit justement Thibaut IV de Champagne qui, en 1240, aurait rapporté le cépage chardonnay d’une Croisade et l’aurait implanté en Champagne.
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Ma dégustation de la cuvée Castille rosé, 1er cru, brut
Un rosé de caractère
La technique : ce Castille rosé est un Vertus 1er cru composé de 91% de chardonnay (issu pour 40% des vendanges 2020 et pour 60% de réserve perpétuelle (solera) viellie en cuve inox puis en foudre de chêne) et de 9% de pinot noir. La vinification se fait par fermentation malolactique. L’élevage dure de 18 à 30 mois sur lies fines. Le dégorgement a eu lieu en mai 2022. Il titre 12 ° et son dosage est de 9g/l. C’est un champagne de vigneron indépendant issu d’une exploitation HVE (Haute Valeur Environnementale niveau 3).
Sa robe : elle est d’une belle couleur framboise avec de légers reflets orangés. La demoiselle est d’une grâce coquette. La mousse est abondante quand on le verse dans le verre. Quant à la bulle, elle est très fine, résiste le temps de l’apéritif mais s’évanouit sur la durée d’un repas.
Son nez : il est élégant, délicat, avec des arômes de framboise et de grenadine au premier nez qui s’ouvrent peu à peu sur des flaveurs de fleurs comme la violette et la pivoine (qui persistent en bouche) et sur une finale poivre et clou de girofle.
Sa bouche : elle dévoile aussi des fruits rouges mais légèrement confiturés, avec des notes d’orange plutôt sanguine. Très acidulée, elle est agréable et très rafraîchissante, se terminant en douceur par une touche de guimauve et de fleur d’oranger qui annonce peut-être une Saint-Valentin pleine de promesses. Une petite note poivrée subsiste et émoustille la persistance en bouche.
Ses accords : à table, il ne faut pas mal la marier car tout ne lui convient pas. À l’apéritif, elle est idéale sur une assiette d’oursins mais supportera les tapas ayant elles aussi un caractère bien trempé. Je n’hésite pas une seule seconde à conseiller à un jeune couple qui ne sait pas cuisiner de la servir sur une très bonne pizza (achetée il va sans dire « à emporter » dans un bon restaurant italien et juste à réchauffer, évidement pas de pizza surgelée). Sur une cuisine plus élaborée, je l’ai testée avec des rognons légèrement crémés (bien sûr sans moutarde) et une râpée de truffe blanche qui lui allait très bien (garniture de gnocchis). Mais je l’aurais bien vue aussi sur une lotte à l’américaine raisonnablement épicée. C’est aussi un champagne qui peut accompagner des desserts, mais là encore, pas n’importe lesquels : fruits rouges évidemment (mais la mi-février n’est pas leur saison, même les premières garriguettes ne sont pas encore au rendez-vous). Essayez avec un Fontainebleau seulement nappé de quelques traits de coulis de fruits rouges. Personnellement, c’est un champagne que j’apprécie presque plus seul, un champagne d’après-midi ou d’après dîner qui se suffit à lui-même.
Prix : 35,50 € chez les cavistes et sur www.champagne-colin.com/boutique
Champagne Colin
101, avenue de Général de Gaulle
51130 Vertus
Tél. 03 26 58 86 32
www.champagne-colin.com
www.champagne-colin.com/boutique
Blandine Vié