Trois vins du Jura
Parmi les vins que l’on boit rarement (j’espère !) figurent ceux que l’on n’offrirait même pas à son pire ennemi, les tisanes de chêne, les accidentés de la vigne, des qui puent le cloaque de poules qui se négligent, la sueur de poney ou les dessous de bras de sconse par temps d’orage. Dans un sens plus positif il est dommage de ne pas encaver plus souvent quelques jolies bouteilles de shiraz australienne. On méconnaît les pourtant beaux tokays hongrois. Les prix des grands vins de la Nappa Valley nous les rendent encore plus étrangers. Les Français sont les champions du monde de la consommation des pires portos de cavalerie (ruby et tawny) quand les connaisseurs Britons se réservent les plus grands vintages ainsi que les meilleures bouteilles de vieux madères.
Et puis, il y a d’autres vins, moins accessibles au plus grand nombre, moins médiatisés mais qui apportent des joies bien réelles. Vous ne les trouverez d’ailleurs que chez les bons cavistes.
Au cours d’un récent dîner, j’ai eu le plaisir de boire trois vins du Jura particulièrement fameux :
— Un poulsard 2011 (15 €) du champion presque retraité Jacques Puffeney. Un vin sur la finesse qui peut désarçonner les néophytes par ses arômes de cerises à l’eau-de-vie, l’absence de tanins dominateurs et la couleur très pâle de sa robe, presque rose. Cette fraîcheur épicée est un délice, un joli bonbon pour les gourmands, de la soie et des dentelles pour les coquettes.
— Le savagnin 2009 (18 €) du même génial vigneron m’attaque avec cardamome, curcuma et fruits secs (très secs). La noisette domine. Les agrumes et l’oxydation apporte vivacité et finesse qui laissent vite place à une complexité magnifique dont on garde longtemps la trace.
— Pour finir, on me sert un vin jaune 2006 « Les Bruyères » (80 €) de Bénédicte et Stéphane Tissot dont les vignes sont cultivées en biodynamie. Le millésime est relativement récent, ce qui n’empêche pas une grande concentration au nez et en bouche, avec juste ce qu’il faut d’amertume et d’acidité pour obtenir un bien bel équilibre. Issu de vieilles vignes de savagnin, six ans passés en fût, environ un tiers d’évaporation naturelle sans ouillage (c’est-à-dire qu’on ne refait pas les niveaux).
S’il est recommandé de ne pas parler sèchement à un Numide (!), en revanche la sécheresse du vin jaune — et singulièrement de celui-ci — me va bien quand elle accompagne une tendre volaille crémée aux morilles. Mais mon bonheur vient surtout lorsque ma bouche reçoit dans le même mouvement des éclats de vieux comté bien sec et une gorgée de vin jaune, déjà revendiqué ici :
https://gretagarbure.com/2016/05/04/sur-un-plateau-17/
Goûtez les vins du Jura, vous ne les oublierez plus jamais !
Patrick de Mari