Subtile et raffinée, jouant des épices comme d’une ponctuation, la cuisine de Pleine Terre a tout bon !
C’est une très jolie découverte que ce restaurant (anciennement Kambodgia) niché dans une rue calme non loin de la place de l’Étoile, d’autant que la salle étant en sous-sol, la devanture n’incite pas à « yeuter » et à être tenté de pousser la porte. Je vous y invite pourtant vivement car descendre l’escalier ne vous mènera guère en enfer mais bien dans l’antre d’un fameux chef. Certes, ouvert depuis environ trois semaines, le décor pêche par un peu de froideur et n’a pas encore trouvé sa patine. Mais chaque chose en son temps, asseyez-vous tout de même car le contenu des assiettes va vous bluffer.
Avant de passer à table, un mot sur le chef Jimmy Desrivières. Originaire des Trois-Îlets en Martinique, île des Caraïbes qui fait partie des petites Antilles, il a gardé d’outre-mer l’amour des épices. Mais ne vous y méprenez pas. On n’est pas ici dans un restaurant régional de cuisine créole. On est dans un établissement qui propose de la haute gastronomie française. L’homme a fait ses classes chez les plus grands (je vous épargne son curriculum vitæ) et sa cuisine est d’une grande technicité mais sans esbrouffe.
Voyez plutôt.
Nous voilà installés et l’inévitable amuse-bouche, bien souvent inutile (surtout quand ils sont plusieurs à se suivre), nous fait tout de suite rentrer dans l’univers plein de délicatesse de Jimmy Desrivières. Il s’agit d’un petit ragoût de maïs au fromage et au piment d’Espelette : c’est simple — on n’est pas pour autant dans la minauderie — mais beaucoup moins rustique qu’il n’y paraît et titille tout de suite nos papilles.
Nous voilà fin prêts pour les entrées qui sont iodées (et que nous partageons).
La première se compose de « Saint-jacques de plongée de Saint-Malo avec des gamberoni rossi, du citron confit, des rondelles de radis» (17 €), le tout assaisonné de cardamome, de citron noir (citron séché qu’on râpe comme une épice) et d’un peu de piment rouge frais. Je n’aurai qu’un mot : magnifique. Magnifique de fraîcheur, de goût, d’équilibre et un assaisonnement d’une grande subtilité qui met les produits en exergue sans les dominer : du grand art.
La seconde se révèle tout aussi intéressante : de la « Chair de crabe de casier, clémentine, pomme granny smith, mayonnaise au curry » (16 €). Là encore, c’est somptueux. Le crabe est tellement goûteux qu’on a l’impression d’être en bord de mer et de l’avoir vu sortir du casier « pour de vrai ». Ce n’est évidemment pas le cas mais Jimmy lui, peut même nous donner le nom du pêcheur car il se fournit à l’Association Poiscaille qui, face à une réglementation assez floue, a établi ses propres critères, tout en transparence (pêche responsable et artisanale ; techniques dormantes : lignes, casiers ; circuit court). Ainsi, les saint-jacques viennent de Saint-Malo, les coques de Batz-sur-mer, la daurade royale de Quibéron.
Et comme pour les saint-jacques, les saveurs des fruits qui accompagnent le crabe et l’assaisonnement sont en parfaite harmonie, émoustillant sa chair sans en masquer le goût salin.
Alléchés, nous continuons notre promenade maritime avec la « Pêche du jour (daurade royale), cocos de Paimpol, piment frais d’Espelette, curcuma et jus de coquillages (coques minuscules) » (28 €). Et nous continuons à être subjugués car chaque bouchée est un régal. Les produits sont d’une fraîcheur absolue, les cuissons « à la nacre », les textures contrastées (la peau de la dorade est croustillante sans être grillée jusqu’à l’amertume et les cocos fondants à souhait), les sauces onctueuses et légères, les parfums dosés pour apporter chacun une petite touche individuelle qui ne fait jamais de l’ombre à une autre, comme des notes de musique dans une partition. Que du bonheur !
Avec cette cuisine de la mer, le jeune sommelier Édouard Vimond (formé entre autres chez Olivier Roellinger) nous a servi un excellent muscadet Sèvre et Maine sur lie de chez Gadais Père et fils, et vous pourrez nous croire sur parole si l’on vous dit que cette maison est conseillée par Henri Bourgeois qui fait des sancerres épatants.
Si nous étions raisonnables, nous pourrions passer au dessert mais ce serait ne goûter qu’à un seul volet de la cuisine de ce restaurant « terre et mer ». Or, n’oublions pas que notre ami Jimmy est Martiniquais et que les cuisines insulaires — même si on ne fait que s’en inspirer — ont presque toujours cette double vocation.
Ce sera donc pour l’un de nous un « Agneau aux épices, artichauts, potimarron et carottes (33 €), de toute beauté et de toute bonté, tendre, juteux, cuit au point rosé exact, d’une délicate exquisité et avec un gras si délicieux qu’il est interdit de le laisser sur le bord de l’assiette.
Pour mon partenaire — mais nous avons triché et partagé —, c’est « Filet de bœuf, carotte, purée de pommes de terre », un plat classique du répertoire mais exécuté avec un doigté exceptionnel, une viande extraordinairement fondante : un régal ! Oui, je me répète !
Sur ces plats plus terriens, Édouard Vimond nous a servi un vin du mois : un corbières « Campana » 2016 du Château Beauregard Mirouze (syrah, grenache), dont le côté sauvage des garrigues était discipliné juste ce qu’il faut. Tout bon, quoi !
Bon, après tant de luxuriance, un petit dessert ne peut qu’apporter un peu de douceur, même quand on n’est pas bec sucré. Partageons donc une « Fraîcheur d’agrumes bio, granité au gin » (14 €) et une « Tarte soufflée au cacao, parfums des îles, glace au caramel beurre salé » (14 €).
Le pâtissier Jérémy De-Cruz est bien dans l’esprit de la maison : légèreté avant tout. Ce n’est ni trop sucré ni trop gras. D’ailleurs, que vois-je ? L’un de nous a presque dévoré la tarte soufflée au cacao avant que je n’aie le temps de la prendre en photo. Mais je ne vous dirai pas qui ! Un joli point d’orgue à ce repas en tout cas.
Qu’ajouter ? Si vous nous suivez, vous savez que la brosse à reluire n’est pas notre style et que si GG sont les initiales de Greta Garbure, ce sont aussi celles de Grande Gueule. Alors quand j’emploie beaucoup de superlatifs comme aujourd’hui, eh bien, c’est que ça vaut drôlement le coup. Soyons donc enthousiastes pour cette cuisine qui manie les épices par petites touches, comme un peintre butine sur sa palette pour enluminer toile. Voilà, c’est exactement ça : Jimmy Desrivières enlumine ses assiettes par sa créativité qui conjugue si bien ce qu’est la haute cuisine française et les saveurs des Îles. Sans occulter bien sûr le rôle du chef de cuisine Clément Van Peborgh qui a rencontré Jimmy à Monaco et qui travaille maintenant en complicité avec lui depuis 7 ans. Une équipe formidable donc, à qui nous souhaitons d’atteindre bientôt le firmament des établissements reconnus.
Certes, les prix ne sont pas tout doux à la carte. Mais d’une part, il y a bien pire dans le quartier pour une cuisine qui ne mérite pas toujours ce nom et, d’autre part, l’exceptionnelle qualité des produits fait que finalement, le rapport qualité/prix est tout à fait honorable, voire imbattable.
Greta Garbure ne peut donc que laisse ici son rond de serviette, gage de notre caution inconditionnelle.
Formules au déjeuner :
– Entrée, plat ou plat, dessert : 29 €
– Entrée, plat, dessert : 35 F
Qui dit mieux ?
Invitation d’un attaché de presse
Pleine Terre
Jimmy Desrivières
15, rue de Bassano
75116 Paris
Tél : 09 81 76 76 10
Instagram : pleine_terre
facebook : restaurant Pleine Terre
Ouvert du mardi au vendredi de 11h 45 à 14 h et de 19 h à 22 h 30
Blandine Vié