« Salauds de jeunes ! »
C’est eux qui le boiront !
Il est de coutume de dire qu’un château d’Yquem ne devient véritablement un Yquem qu’au bout de, selon l’humeur du censeur sentencieux, 20, 30 voire 50 ans. Avant, ce n’est qu’un sauternes. Or, pour avoir maintes fois goûté des Yquem en Primeurs puis d’autres à peine âgés de quelques années, je veux affirmer avec force que même dans sa prime jeunesse, l’enfant est toujours prometteur et formidablement délicieux, complexe… émouvant diront certains.
Dans une des salles de Vinexpo, l’Union des Grands Crus présentait ses sauternes dans le millésime 2014, encore en cours d’élevage pour au moins un an ou deux. Arrivé tard (décidément, c’est une manie !), je commence cette dégustation horizontale au pas de course, juste au moment où les propriétaires et maîtres de chais quittent le navire. Livrées à ma curiosité professionnelle et à mon plaisir égoïste, les bouteilles sont belles, emmaillotées dans leur traditionnel papier doré opaque, afin de ne pas leur faire subir les altérations provoquées par la lumière.
Le niveau d’ensemble est haut (comme le chantent les sept nains qui rentrent du boulot). Ce millésime a connu un été quasiment indien (comme le chantait Joe Dassin) et les vendanges ont pu être rentrées avec une parfaite maturité et un botrytis bien développé (oui, je sais, les Vendanges de l’amour étaient chantées par Marie Laforêt mais la prolifération des champignons y était moins encouragée !).
Mais ce soir je ressens surtout, et à double titre, un grand moment de solitude : on me fait comprendre que c’est l’heure pour moi de lâcher mon verre et de laisser se faire le nettoyage et la nouvelle mise en place de la salle pour le lendemain. Et d’autre part l’impossibilité dans laquelle je me trouve donc de partager les sensations sublimes procurées par la dernière bouteille goûtée. Alors, illico, je trouve un bouchon et j’engouffre ce trésor dans ma sacoche, sous l’œil complice des employés qui vont bientôt pouvoir faire de même avec tous les autres flacons abandonnés.
Eh bien, à la fin du dîner j’ai fait un tabac auprès de mes amis en sortant de leur réfrigérateur ce nectar du château Lafaurie-Peyraguey. Non seulement, il s’est montré à l’aise face à une fourme d’Ambert à point mais de plus le voisinage immédiat d’un clafoutis de bonne tenue lui allait au moins aussi bien au teint… et au nôtre.
Il possède tout ce qu’on peut rechercher dans un beau sauternes en devenir : des arômes puissants sur des notes fruitées telles l’abricot, la mirabelle, la pêche jaune puis des saveurs miellées d’ananas et d’agrumes. C’est une explosion de fruits et de fraîcheur dans la bouche. On devine que la sucrosité aujourd’hui légèrement excessive disparaîtra au fil du temps et qu’une infinie complexité la remplacera pour le bonheur des générations futures (salauds de jeunes !).
C’est l’ébauche d’un très grand vin. Réservez-le aujourd’hui en Primeurs ou achetez-le plus tard, à sa sortie sur le marché. Il sera alors très recherché car c’est vraiment un des champions du millésime 2014.
Michel Smith (@PourleVin)
6 juillet 2015 @ 8 h 21 min
Oui, c’est aussi bon jeune, un grand sauternes. Et sans Perrier de préférence ! 😉