Quand la vie était une fête !
En novembre 1989, nous avons (presque) tous espéré qu’après la Révolution bolchévique et près de soixante-dix ans de communisme implacable, la chute du mur de Berlin symboliserait un retour à la liberté pour des centaines de millions de pauvres gens élevés au chou rance et abreuvés de vodka à la sciure de bois. Certes, leurs niveaux de vie se sont depuis fortement améliorés et leurs régimes alimentaires ont suivi, même de loin, les standards de consommation du monde occidental.
Mais dans le même temps, force est de constater que nos libéralismes respectifs ont été influencés, en sens inverse, par les modes tragiques des anciennes républiques soviétiques, des pays de l’Europe de l’Est et de la Chine maoïste, en passant par Cuba et la Corée du nord.
J’en veux pour preuve le délitement de nos ambitions capitalistes d’hier, la contagion de la mesquinerie, la capillarité navrante de l’avarice, qui nous conduisent aujourd’hui à tordre le nez devant le prix des bouteilles de bons vins.
En effet, je suis atterré par la nature des commentaires, de plus en plus nombreux, émanant d’acheteurs timorés, d’une radinerie décomplexée et même ouvertement revendiquée.
Passons sur les records éphémères du bourguignon Cros Parentoux 1985 à 200 000 dollars la caisse. Oublions les cinquante caisses de Mouton-Rothschild 1982 vendues à New-York en 2006 pour 1 million de dollars et qui en vaudraient le triple aujourd’hui.
Oui, balayons d’un revers de la main ces flacons d’exception, tous partis à l’étranger contre une (très, très) légère amélioration de notre balance commerciale. Ce ne sont que broutilles, bagatelles et brimborions, le brin d’herbe qui cache la forêt amazonienne.
Car le vrai problème, la seule question qui vaille qu’on se la pose, c’est : « Pourquoi les Français dans leur immense majorité préfèrent-ils acheter en grande surface des bags-in-box de Roche Mazet à 10 € plutôt que du Château Lafite à 1000 € la quille ? Et vas-y que je te chipote le meilleur rapport qualité/prix ! Tout le monde exhibe sans pudeur la face cachée de son champagne de petit producteur tout juste connu de sa famille. On moque son voisin qui prétend que sa dernière trouvaille du Languedoc vaut ses 20 € alors que l’on sait bien que c’est trop cher payé pour un vin d’une telle provenance (sic) ! On plaisante sur la passion déraisonnable du « beau-frère à ma sœur » pour des bandols à pas de prix, du cousin basque pour son irouléguy chéri, récolté à flanc de coteaux atrocement pentus, et qui ne nourrit même pas son homme…
Cette notion, après tout estimable, de rapport qualité/prix est constamment tournée en ridicule par ceux qui n’ont pour objectif que d’acheter un prix ! Le thème a déjà été traité ici ou là : https://gretagarbure.com/2012/11/29/ptit-billet-dhumeur-6/
Mais il est triste que, la qualité n’étant pas facile à quantifier, on préfère oublier son importance. La haine bruyamment exprimée envers toutes formes de notations sur 10, 20 ou 100 ou d’appréciations personnelles pousse à ne plus respecter qu’un seul mot d’ordre, ô combien mobilisateur : « J’aime ou j’aime pas » !
Tuons donc toute communication sur le vin comme l’ont déjà entamé Monsieur Évin, les prohibitionnistes de l’ANPAA, les lobbies alcooliers ainsi que les légions de pisse-vinaigre qui nous cernent, de plus en plus « dominateurs et sûrs d’eux-mêmes ».
Ainsi, le vin ne sera plus une récompense, un compagnon de route et de repas, l’ami des beaux dimanches, l’objet de désirs fougueux ou romantiques, ni même de connaissance et d’enseignement.
Ce sera la fin d’un magnifique parcours initiatique d’hommes et de femmes pour lesquels la vie était une fête grâce aux jolies bouteilles, celles dont on aimait aussi les prix quand on les trouvait justes !
Catherine Digue
15 avril 2016 @ 7 h 37 min
ah… que c’est juste et bien vu… Je garde le souvenir de merveilleuses bouteilles ouvertes religieusement
pour partager un moment de bonheur, fêter un évènement ou tout simplement se réjouir d’être ensemble
à déguster un nectar… Un bon cru, une « maison », un cépage ou un vignoble prestigieux et l’amour du travail
bien fait mis en bouteille. Résistons à, comme l’écrit si bien Philippe Sollers « une époque lourde, analphabète et triste
(celle du populisme précieux), tout doit avoir l’air authentique et démagogique, alors que règne, sous couvert de coeur, une froideur rentabilisée. La brutalité d’un côté et le sentimentalisme de l’autre ont remplacé la sensibilité et l’ironie du goût ».