La dégustation : une sinécure ?

Déguster des vins est une épreuve initiatique, un exercice plus périlleux qu’il n’y paraît. « Ah, ben, t’as un bon métier, toi ! » Oui mais…
Quand vous pénétrez dans la salle dont la longue table supporte, alignées au cordeau, quelques 180 bouteilles aux étiquettes masquées par des « chaussettes », c’est une impression de grande solitude qui domine avant de laisser place, selon l’humeur du moment, à l’émotion, la sérénité ou l’enthousiasme. Les certitudes sont rangées au magasin des accessoires inutiles et le doute indispensable s’installe. Il s’agira de traduire par un vocabulaire fédérateur des perceptions visuelles, olfactives, gustatives et tactiles c’est-à-dire des sensations éminemment personnelles. Cette transmission devra se faire avec la plus grande honnêteté possible, en gommant au mieux toutes les subjectivités dont nous sommes les victimes non consentantes. Et malgré ces précautions, nos écrits seront décortiqués et analysés, appréciés ou seulement jugés bons à emballer des bottes de poireaux ou de radis. Car avant même les vins dont il parle, le critique est catalogué, étiqueté, mis dans des cases par des lecteurs ou confrères plus ou moins bien disposés à accepter ses appréciations. Tout ceci est admirablement décrit dans un article signé André Deyrieux.
La suite de l’exercice est parfois plus pittoresque mais aussi moins glorieuse.
À l’approche du 70ème échantillon dégusté, il arrive qu’une certaine lassitude s’abatte sur des papilles commençant à se croiser les bras, des neuro-transmetteurs en vrac et des langues devenues chargées comme des fonds de cages de perroquets. C’est l’heure de tous les dangers ! Votre allure jusqu’alors dominatrice évolue vers une posture de victime sous les assauts des différentes adversités qui se font jour : vous subissez les allées et venues incessantes de la journaliste soi-disant spécialisée, enivrante à sa façon par les fragrances assassines du demi-litre d’eau de toilette qu’elle s’est déversé derrière chaque oreille. En tout cas, ça tranche avec les odeurs corporelles inavouables de vos voisins proches. Ajoutez à cela les conversations à voix de stentors malentendants qui évoquent les programmes de télé-réalité de la veille ou, au pire, vous font profiter de leurs jugements définitifs sur les vins que vous vous apprêtez à déguster… à l’aveugle ! Manquent au paysage les champions du monde qui se positionnent à un bon mètre cinquante du crachoir et vous laissent incrédule devant les nouveaux mouchetis de vos cravates, chemises, vestes, pantalons. Car les circonstances et les lois élémentaires de l’élégance n’autorisent pas toujours le port du sac poubelle ou de la combinaison de surf !
En fin de journée, l’ivresse des grandes profondeurs et celle des hauts sommets cèdent souvent la place à leurs proches cousines : la murge du stakhanoviste intempérant, les vapeurs de la néo-goûteuse, la muflée de celui qui a préféré cracher à l’intérieur ou qui ne voulait pas gâcher. Selon les capacités d’encaissement de chacun, les paris s’ouvrent en fin de séance : alors, tout fout le camp ou rien ne bouge ? La dégustation à l’envers peut commencer.
Mais attention, ce n’est pas parce que vous avez aimé un vin à l’aller qu’il va être bon au retour…!
Patrick de Mari
18 avril 2016 @ 7 h 59 min
Amusant billet !!! Com’dab
Les vins de ma région, précieux pour certains, j’espère qu’ils n’ont pas jugé par des béotiens ne jurant que par cette boisson appelée Bordeaux uniformisée et américanisée.
Toujours curieuse de vos chroniques.
Outrée par l’affaire du Cochon de la maison bleue, quand même ! La fête du Jambon, tout un symbole !
Bien sincèrement, une immigrée en Béarn, Cécile.
Nos mille-feuilles (nos feuilletages de la semaine) |
13 janvier 2017 @ 7 h 00 min
[…] vous avions d’ailleurs déjà parlé d’André Deyrieux ici :https://gretagarbure.com/2016/04/18/saynetes-21/ et là […]