Le ministère de la culture bannit « nègre littéraire » au profit de « prête-plume »
« Nègre » désignait jusqu’à présent — entre autres — un auteur sous-traitant anonymement un texte signé « officiellement » par une autre personne ayant généralement une petite ou grande notoriété mais ne sachant pour autant pas écrire, même en ayant des choses à dire. Je l’ai été. Au passage, je me demande pourquoi les féministes acharnées, tellement rigides sur le fait d’écrire « auteur » ou « écrivain » avec un E final, n’ont jamais revendiqué d’être des « négresses » !
Mais le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) vient d’obtenir gain de cause auprès du ministère de la Culture. Alors, je plussoie évidemment quand ces mots ont des relents de colonialisme et font référence à l’esclavage. C’est pourquoi j’agrée à « prête-plume ». De même pour les friandises appelées « Têtes de nègre » ou « Bamboula » voire pour cet entremets aujourd’hui tombé en désuétude mais qui eut pourtant son heure de gloire entre les deux guerres, à l’époque des années folles, des cocottes, du jazz, de Joséphine Baker (qui a beaucoup œuvré pour l’émancipation des Noirs et que j’ai connue lorsque j’étais petite fille) et de sa « Revue nègre », quand les bourgeois endimanchés allaient au café-concert, au cabaret, aux Folies Bergères et au Moulin Rouge pour s’encanailler, je veux parler du « nègre en chemise ».
Si ce dessert est tombé dans les oubliettes aujourd’hui, c’est évidemment beaucoup à cause du mot nègre, mot dont beaucoup ont dévoyé le sens, raison pour laquelle d’aucuns (d’autres évidemment…) le jugent désormais raciste. Je peux comprendre. Encore que les remplacer par des euphémismes tièdes comme « Noir et Blanc » dans les manuels de cuisine (ou les sites internet) — nom donné à nombre de desserts au chocolat nappés de Chantilly ou de crème anglaise à cause du contraste de couleurs — mais dont on fait pourtant suivre le titre du sous-titre ou de la mention entre parenthèses : « anciennement nègre en chemise » me parait d’une grande hypocrisie.
NÉANMOINS
S’il existe sans nul doute d’autres cas où cette « moralisation » de la langue a sa raison d’être — pour parler cuisine, toujours, je pense à ces bassines à frire qu’on appelle « négresses » en restauration parce qu’elles deviennent vite noires, en revanche, je suis totalement contre la disparition du mot nègre quand il n’est pas employé à des fins méprisantes ou racistes.
Nègre est un beau mot qui signifie « noir » étymologiquement dans toutes les langues d’origine latine (du latin niger, noir). Et c’est un beau nom. Comme sont beaux les negro-spirituals. Comme est beau l’Art nègre (et c’est une ancienne élève de Jean Laude qui vous le dis). Comme est beau le Niger. Et il faudrait rebaptiser tous ces noms ? Ainsi que la négritude mise en exergue par Sartre et surtout, si bellement, par Léopold Sédar Shengor et Aimé Césaire ? Sartre a défini la négritude comme : « la négation de la négation de l’homme noir », Senghor pensait qu’elle était : « un fait, une culture », et Césaire : « le rejet d’une assimilation culturelle ». Ce ne serait à mon sens que basse complaisance. Pire, un refus de reconnaissance.
Alors, je dis non !
Parce qu’il y a mille et une raisons d’être fier d’être nègre.
Et aucune de trouver le mot nègre péjoratif.
Car s’il est un crime, ce n’est pas d’être nègre, mais d’être négrier.