Le Prieuré Saint Jean de Bébian
Au Carré des Feuillants (**)
chez Alain Dutournier
Ce n’est un secret pour personne car je le dis et le répète à chaque fois qu’on m’interviewe : Alain Dutournier est pour moi le chef avec lequel je me sens le plus en adéquation. Et cela pour trois raisons :
— La première est qu’il a une « conscience » vis-à-vis des produits qu’il travaille, notamment par rapport au vivant. Il a donc un profond respect pour la nourriture qu’il met en scène et qui n’est jamais « altérée ».
— La deuxième est qu’il a une approche culturelle de son métier et que c’est à mon avis le chef qui maîtrise le mieux le métissage en cuisine — attention, je n’ai pas parlé de fusion food ! —, en ce sens qu’il perçoit d’abord ce qui rapproche deux traditions, deux héritages, et non ce qui les différencie, voire ce qui les oppose. Oui, il a une véritable culture des produits et des cuisines du monde. Ses mariages sont donc toujours harmonieux car réalisés pour la finesse et l’intelligence de leurs complémentarités, jamais pour le côté tape-à-l’œil de la composition.
— La troisième est que c’est un artiste. Un vrai. Qui jongle avec les saveurs, les épices, les textures et maîtrise les cuissons comme personne. Le tout avec une subtilité désarmante tellement le résultat est évident dans l’assiette. Parce qu’il a la technicité des grands mais que tout est toujours très juste et très réfléchi dans sa cuisine. Ça ne part pas dans tous les sens, c’est équilibré, goûteux, bien foutu, raffiné mais pas sophistiqué ni chichiteux.
Je pourrais ajouter à ces trois raisons le fait que j’ai vécu une dizaine d’années à Mouscardès, un petit villages des Landes (223 habitants à l’époque) situé au sud de la Chalosse et faisant partie du même canton (Orthe et Arrigans) que Cagnotte, son village à lui ! C’est dire si nous sommes en terrain d’entente et si je connais bien « son » Sud-Ouest.
Mais j’ajouterai surtout qu’ayant une connaissance parfaite des vins, ses accords avec les mets lors d’un déjeuner de presse sont toujours le fruit d’une véritable recherche et fonctionnent à merveille.
Ce cri du cœur pour vous dire que c’est toujours un régal — pour la bouche mais aussi pour l’intellect — de faire un repas chez Alain Dutournier.
Mais présentons aussi le domaine de notre hôte, le Prieuré Saint jean de Bébian. Situé en Languedoc et constitué de 43 parcelles très diversifiées, il est depuis 2008 la propriété de Alexander Pumpyanskiy, épaulé par Keren Turner, œnologue australienne et directrice technique qui élabore les vins de Bébian depuis 2004.
On ne peut parler de ce domaine sans évoquer son histoire puisque le prieuré a été fondé sous l’empire romain au 1er siècle après Jésus-Christ et que, déjà, la vigne y est cultivée. Et ce qui est intéressant pour nous, c’est que depuis 1970 — excusez du raccourci ! — trois propriétaires construisent Bébian : Alain Roux (à qui l’on doit la création du domaine actuel) puis, en 1991, Chantal Lecouty et Jean-Claude Lebrun (anciens propriétaires de la Revue du Vin de France) jusqu’en 2008. Avec la présence en filigrane de Michel Bettane (très ami avec Alain Roux), qui aurait eu un rôle déterminant dans la création du blanc.
Mais assez de bla-bla, passons aux choses sérieuses, c’est-à-dire une verticale de six Prieuré de Saint-Jean rouge, de 2013 à 2008. Disons que tous ont un joli nez (le 2010 un peu moins expressif), souvent épicé, que j’ai moins aimé le 2012 que j’ai trouvé très technique, moins exubérant, que le 2011 avait à mon goût un poil d’astringence et que mon préféré est sans aucun doute le 2013 au nez de pain d’épices et de cacao, déjà très évolué malgré sa jeunesse.
Mais nous avons faim — d’autant que le menu nous fait saliver — alors à table !
Ça tombe bien, quelques amuse-gueule nous font opportunément de l’œil et une « Royale de foie gras avec une gelée de porto et de la truffe noire » vient s’inviter avant les festivités prévues. Miam !
Les langoustines royales marinées au citron caviar proposées en entrée sont absolument divines : marinées à l’huile de noisette, elle sont déposées sur un lit de copeaux de romanesco et de crème de têtes, puis nappées avec une gelée faite avec les carapaces. Le blanc 2013 (27 €) qui les accompagne a une magnifique robe d’or, il est équilibré, citronné et tout en rondeur. Un accord parfait !
Pour suivre, partie de jambes en l’air avec des cuisses de grenouilles aux girolles et au quinoa délicieusement apprêtées. Le blanc 2008 (27 €) gaine à ravir les jolies gambettes. Plus miellé, presque pommadé, il a un nez gourmand et épicé. En bouche il est un peu salin avec cette subtile petite touche d’amertume finale comme j’aime.
C’est au tour de la pièce maîtresse d’arriver sur table : un caneton croisé bigarade, olive et navet surprise. Les mots me manquent presque pour le décrire — et puis d’abord, on ne parle pas la bouche pleine ! — tant tout est harmonieux.
Le Prieuré Saint-Jean de Bébian rouge 2010 (26 €) qui l’accompagne est un trait d’union parfait entre les saveurs du canard, de la bigarade et de l’olive.
Un pré-dessert chocolat-lait de coco- punch au thé vert nous prépare la bouche au sucré mais, je ne sais pourquoi, il y a toujours une photo que j’oublie de prendre et aujourd’hui, c’est celle-là !
Le dessert se profile, clafoutis malicieusement réinterprété qui ne perd rien de son authenticité mais devient ludique avec ses cerises burlat en jubilée et sa crème glacée à la verveine fraîche ! Gourmand à souhait, l’épicé, minéral et puissant Prieuré Saint-Jean de Bébian 2008 (26 €) lui fait une jolie cour.
Allez, laissons-nous encore tenter par quelques mignardises qu’il serait criminel de laisser sur la table !
Voilà ! C’est fini !
Merci à tous les acteurs de ce repas, le domaine invitant, l’attachée de presse et Alain Dutournier pour ce magnifique repas. Quand je vous disais que venir au Carré des Feuillants, c’est toujours enthousiasmant !
Et puis, je vous assure, Alain Dutournier a un truc magique pour les accords mets et vins.
Il sait capter les phéromones des uns pour les marier avec les autres !