Le chocolat aime les métamorphoses, surtout à Pâques !
Plus malléable que la pâte à modeler, le chocolat se révèle particulièrement ludique. Il se prête à toutes les fantaisies, voire à tous les caprices, et il intervient absolument à tous les niveaux, à toutes les strates possibles de l’élaboration d’un dessert : il sait se faire pâte à gâteau moelleuse, fondante pâte à truffes, subtile crème de fourrage, délicate ganache, quenelle veloutée ou tarte crémeuse, sablé croquant ou douce marquise. Il sait même se faire mousser et tirer la couverture à lui pour napper les entremets ou glacer les gâteaux, les enjolivant alors à l’œil et les bonifiant au goût. Il peut encore se transformer en copeaux, en collerette, en pépites, voire enrober les truffes sous sa forme cacaotée ! Bon prince, il peut même aller jusqu’à jouer les cache-misère en camouflant somptueusement des ratages avérés ou des démoulages hasardeux !
Mais, décidément kafkaïen, le chocolat peut encore aller plus loin, notamment à Pâques, où sa matière ne se contente plus de masquer ou de se transformer en dessert gourmand, mais devient carrément œuvre d’art en sacrifiant au rite des moulages. Polymorphe, le chocolat se fait alors bestiaire à lui tout seul, engendrant lapins, lièvres, petite friture, poules, et bien sûr œufs, sans oublier les cloches !
C’est que la tradition de Pâques — fête chrétienne censée célébrer la résurrection du Christ — a bien évolué depuis l’époque des premiers chrétiens qui se reconnaissaient entre eux grâce au signe du poisson… ce qui explique la friture ! Pour mémoire, rappelons qu’ensuite (à partir du IVème siècle), et notamment au très rigoureux Moyen-Âge, l’Église proscrit la consommation d’œufs pendant toute la période de jeûne du carême (ils n’étaient permis que lorsque la marée faisait défaut !), période qui correspond en fait au début du printemps… et donc à la période où les poules pondent le plus ! C’est pourquoi s’instaura la tradition de s’offrir des œufs — il fallait bien en faire quelque chose alors qu’ils abondaient dans les fermes — après les avoir décorés de symboles de renouveau, l’œuf étant déjà une promesse de vie à lui tout seul. Comme on se les offrait en gage de piété et de fidélité, le fait de les décorer valorisait le don, et souvent même, en plus, on les faisait bénir.
Mais plus « laïquement », ce n’est qu’à la fin du XIXéme siècle, qu’un admirateur de Sarah Bernhardt eut l’idée de lui offrir un œuf géant en chocolat, présent qui, somme toute, en cette époque de fastes et de princes russes, aurait pu ne faire figure que d’œuf Fabergé du pauvre, mais qui, au contraire, eut un tel impact médiatique — déjà ! — que les pâtissiers et les confiseurs reprirent bien vite l’idée à leur compte, la pérennisant jusqu’à nos jours !
Et si autrefois la fin du carême était marquée par des jours de liesse où l’on avait coutume de dévorer de gigantesques omelettes, aujourd’hui, bien que le carême ne soit plus guère pratiqué, ce sont bien toujours les œufs qui symbolisent le retour de l’abondance… mais des œufs en chocolat !