Le brocciu : la réponse du corse à ses cousines de métropole
Tout comme pour la brousse métropolitaine,
son nom vient de brousser
— qui signifie battre, fouetter —
action essentielle dans sa préparation.
Mais la ressemblance s’arrête là
pour cet indigène
— Viva Corsica ! —
qui aime à jouer les trublions
puisque parmi les AOC,
il est le seul fromage fabriqué
à partir de petit-lait recuit,
surtout de brebis mais de chèvre aussi.
Ce n’est pas la seule entorse
car le brocciu (prononciation corse),
parfois écrit broccio, voire brucciu
— ici pas d’accent pointu —
peut avoir une pâte molle ou dure
selon qu’il est consommé frais ou mature.
Le plus souvent, il a une forme tronconique
— vieux, il est plus ramassé —
dont le poids est d’au minimum 250 grammes
et d’au maximum 3 kilogrammes,
avec une progression logique :
500g, 1 kg, etc., emballé, c’est pesé.
Le petit-lait — on dit aussi babeurre —
c’est une vraie splendeur.
Vous le savez sans doute,
c’est le sérum qui s’égoutte
quand le lait est caillé.
Un trésor pour la santé.
Boire du petit-lait, c’est le kif.
Mais en manger… c’est carrément jouissif !
Je vais vous la faire brève :
à la ferme, le petit-lait est récupéré
lors de l’égouttage du caillé
des tommes de brebis ou de chèvre.
Il est travaillé frais puis, une fois filtré,
versé dans des chaudrons de 50 litres
(en laiterie industrielle : 1000 à 1500 litres)
et chauffé doucement à 65 °C.
On lui ajoute alors 10 % de lait frais
— à quelque chose près —
afin qu’il se tienne mieux
et qu’il soit plus moelleux.
Pendant la cuisson à 70-75 °C
qui va se poursuivre pendant 1 heure,
Le mélange lait-babeurre
est régulièrement fouetté
— condition sine qua non
pour qu’il foisonne —
à la main, de manière artisanale,
ou, par une hélice au fond de la cuve fixée,
quand l’industrie a remplacé
la manière ancestrale.
Il est ensuite moulé
dans les « canestres »,
traditionnelles corbeilles en jonc
où il va faire la sieste
24 h d’affilée
pour un petit roupillon
— on est en Corse, ne l’oublions pas ! —
qui le finalisera.
Bon, aujourd’hui les faisselles sont en plastique,
ce qui est plus pratique.
Ainsi tout frais et tout pimpant,
gras à hauteur de 45 %,
et si délicieusement fondant,
il faut le déguster rapidement.
Nature ou, si l’on veut, agrémenté
selon son goût, en salé en sucré.
Sa croûte inexistante
rend la tentation… très tentante !
Parfois cependant cette pâte molle
aime qu’un peu plus on la cajole.
Elle est alors salée en surface,
puis il faut lui faire une petite place
pendant 21 jours dans une cave fraîche
pour que, tranquillement, elle sèche.
Elle est alors vendue
sous l’appellation brocciu passu.
Néanmoins,
ce n’est qu’en période d’allaitement des femelles,
ovines ou caprines,
que ce fromage à la bonne mine
a droit à ce nom officiel.
Enfin, plus rarement, la belle insulaire
est enrobée de feuilles séchées d’asphodèle
qui lui donnent un petit air
de sauvageonne rebelle.
Ou bien encore, elle est roulée
dans du poivre ou des herbes du maquis
pour leur parfum judicieusement choisies.
Prenant alors un goût relevé
et piquant qui exalte son tempérament
— osons le mot, sa saveur est… corsée —
et en bouche, « explose » littéralement
— rappelez-vous, on est dans l’île de beauté !
Ainsi protégée, sa pâte durcit au fil du temps
et peut alors se conserver très longtemps.
Mais ce n’est plus le même fromage,
c’est presque le souvenir d’un autre âge.
Sachez encore que c’est au début du printemps
que le brocciu de brebis est le plus divin,
tandis que pour le brocciu caprin,
c’est en été et à l’automne qu’il est le plus gourmand.
Et je ne vous apprendrai rien si je vous dis
que le brocciu fait des merveilles en cuisine :
beignets, fiadone, quiches, farces et légumes farcis,
pâtes, omelettes et bien sûr mille et une tartines !
Texte © Blandine Vié