La lamproie à la bordelaise
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la lamproie marine (Petromyzon marinus) n’est pas belle à voir ! Avec son allure de serpent, sa peau visqueuse sans écailles, sa bouche en forme de ventouse et ses nombreuses dents, elle a petit côté préhistorique. En fait, migratrice venant se reproduire en eaux douces, elle se pêche aux embouchures des rivières, à la nasse ou au filet. Stricto sensu, ce n’est pas réellement un poisson mais un vertébré primitif sans mâchoire. La lamproie marine mesure de 60 à 80 cm, sa peau est marbrée et elle pèse de 700 à 900 g. Gastronomiquement, on la classe dans les poissons gras à chair délicate.
Aujourd’hui protégée, on ne peut la pêcher que de janvier à mai et à condition qu’elle mesure au moins 40 cm. Mars et avril sont les deux mois où elle est le plus abondante.
Il en existe aussi une version fluviatile (Lampetra fluviatilis), grise, plus petite (25 à 40 cm) et avec beaucoup moins de dents.
La lamproie était autrefois très abondante dans toute l’Europe, y compris les bassins du Rhône et du Rhin, mais depuis la deuxième moitié du XXe siècle, sa popuplation a fortement régressé du fait de l’installation de nombreux barrages. Toutefois, on en trouve encore dans les estuaires de La Gironde, de l’Adour, de la Dordogne et de la Loire.
Historiquement, la lamproie a séduit toute l’Europe avant de devenir une spécialité bordelaise.
En Italie, les Romains la prisaient déjà, et d’ailleurs, on en pêche encore dans le Tibre, le Pô et l’Arno.
Plus près de nous, on raconte que le roi Henri 1er d’Angleterre, dit Beauclerc, est mort d’une indigestion de lamproies le 1er décembre 1135, en Normandie. Ce serait même à cause de cet incident qui l’empêcha d’aller batailler outre-Atlantique que le Royaume d’Angleterre serait revenu aux Plantagenêts. Événement commémoré depuis par une galantine de lamproie offerte au souverain régnant chaque 1er décembre.
En France, la cuisine de Cour naît sous Charles V et son cuisinier Guillaume Tirel, dit Taillevent en consignera d’ailleurs plusieurs recettes dans le livre dont il est l’auteur présumé : le « Viandier ». Elle gagnera tout à fait ses lettres de noblesse au XVIIe siècle, puis ne tardera pas à devenir l’apanage du clergé — il faut dire qu’elle était permise pendant le Carême — et de la bourgeoisie. On comprend mieux pourquoi Bordeaux s’est appropriée la recette.
Quand j’habitais dans les Landes, j’allais en acheter près de Saint-Jean-de-Luz à un pêcheur qui se servait de vieux tambours de machines à laver comme nasses. Pour être apprêtée « à la bordelaise », elle doit être vivante car il faut la saigner pour recueillir son sang qui servira à lier la sauce comme dans n’importe quel civet (http://gretagarbure.com/2014/02/11/savoir-faire-17/).
Dans toute l’Aquitaine, elle fait souvent l’objet de conserves ménagères, ce qui ne nuit nullement à sa saveur.
La recette
Préparation : 1 h
Marinade : 2 h
Cuisson : 2 h 30
Pour 4 personnes
• 1 lamproie vivante de 1 kg
• 6 gros poireaux
• 2 bouteilles de vin rouge (Bordeaux)
• 1 oignon
• 2 gousses d’ail
• 3 cuil. à soupe de graisse de confit ou d’huile
• 200 g de jambon cru
• 2 cuil. à soupe de farine
• 1 bouquet garni
• 2 clous de girofle
• 2 morceaux de sucre
• 5 cl d’armagnac
• croûtons frits, aillés ou non
• sel fin, poivre du moulin
Suspendez la lamproie vivante à un clou, coupez-lui la queue et recueillez son sang dans un récipient contenant 20 cl de vin (pour éviter la coagulation). Laissez la lamproie se vider pendant 2 h, fouettez le sang.
Une fois la lamproie saignée, raclez-la pour en ôter le mucus, puis échaudez-la 2 à 3 minutes. Égouttez-la, rafraîchissez-la, fendez-la de la tête à l’anus, ôtez les branchies, nettoyez-la et coupez-la en tronçons de 5 cm. Versez 30 cl de vin dans le sang, mélangez et faites-y mariner la lamproie au frais pendant 2 heures.
Pendant ce temps, épluchez et lavez les poireaux en ne conservant que les blancs, coupez-les en tronçons de 7 cm. Pelez et émincez l’oignon. Faites blondir le tout dans une cocotte, dans la moitié de la graisse de confit ou de l’huile. Singez avec la farine (http://gretagarbure.com/2013/03/18/les-mots-des-mets/), faites roussir, puis mouillez avec 1 litre de vin. Ajoutez le bouquet garni, les gousses d’ail pelées et écrasées, le sucre et les clous de girofle. Couvrez et laissez mijoter 1 heure 30 sur feu doux.
Sortez les morceaux de lamproie de la marinade et épongez-les.
Faites chauffer le reste de graisse de confit ou d’huile. Faites-y dorer la lamproie avec le jambon grossièrement haché au couteau, pendant 10 minutes. Flambez à l’armagnac. Ajoutez au contenu de la cocotte, mélangez, poursuivez la cuisson 20 minutes.
Versez alors la marinade dans la cocotte, mélangez, terminez la cuisson 20 minutes sur feu très doux, sans faire bouillir.
Pour servir, versez le contenu de la cocotte dans un plat creux et chaud. Éliminez le bouquet garni et entourez de petits croûtons frits.
Un peu de bla-bla
• Au Pays basque, on remplace volontiers le sucre (utilisé pour corriger l’acidité du vin) par deux carrés de chocolat noir, en vertu de la tradition cacaotière de la ville de Bayonne.
• Dans les Landes, on la prépare aussi en « pourrade » : même recette exactement mais dans laquelle on incorpore une pincée de cannelle en poudre au vin puis, 25 minutes avant la fin de cuisson, 12 pruneaux, 50 g de raisins secs et 2 cuillerées à soupe de pignons de pin.
• Selon la hauteur du front de l’Atlantique à laquelle on se situe, on utilisera du bordeaux, du madiran ou de l’irouléguy comme vin pour la sauce.
• Cette recette supporte plutôt bien la stérilisation (3 h) en bocaux.
Plats mythiques | The fisheye of gourmet food &...
19 mars 2014 @ 12 h 18 min
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2 avril 2014 @ 6 h 01 min
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