La mère Lapipe dans son bistrot, récit gouleyant de Pierrick Bourgault
De son enfance dans le café de son grand-père, Pierrick Bourgault a hérité une tendresse inépuisable pour ces adresses qui révèlent leur monde, leur époque. Ce bistrot qui s’appelle « Au café du coin » se trouve au Mans.
Il faut bien le dire, vu de l’extérieur, c’est un bistrot qui ne paye pas de mine. Si vous avez pourtant l’audace de pousser la porte – dont au passage, l’une des moitiés est bloquée (et ce n’est pas exprès) –, vous pénétrez dans un univers insolite qui ne manquera pas de vous surprendre. Peut-être même aurez-vous envie de rebrousser chemin. Car il n’y a pas un centimètre de la surface des murs qui ne soit pas recouvert d’une affiche, d’un poster, d’une photo, d’une allusion à Johnny Hallyday. Plus extravagant encore, la paroi du comptoir est entièrement recouverte de briquets qui y sont collés – facétie d’un client qui a collé le premier un jour et tous ont suivi depuis. Pire encore – si vous êtes délicat et farouche – la patronne fume la pipe et elle n’est pas la seule à fumer si l’on en juge justement par le nombre de briquets. Sans oublier tout un fouillis sympathique et des verres dépareillés. Peut-être même que ce jour–là, on est en train de danser. Alors, que faites-vous ? Personnellement, je vous conseille vivement d’entrer.
Car vous ne rentrerez pas seulement dans un café mais dans un monde presque hors du temps, un monde parallèle. Et si vous êtes adopté, alors ce sera encore mieux car vous entrerez dans une famille.
Jeannine, c’est une figure comme on n’en fait plus, une femme haute en couleur qui règne en maîtresse sur son petit royaume – car c’est un royaume –, une arrière grand-mère au caractère bien trempé qui sait réunir les gens du quartier : des vieux qui ont connu l’évolution de ce quartier ouvrier populaire, des retraités, mais aussi des étudiants qui se sentent ici comme chez eux (voire mieux que chez eux), des forains, des brocanteurs… et même des policiers et un ministre, ainsi que toute une galerie de personnages qui nous fait penser qu’on est peut-être dans un film, ou dans un rêve.
Mais Jeannine ne fait pas seulement que réunir tout ce petit monde, elle sait aussi – et peut-être surtout – écouter ! Écouter la longue litanie des souvenirs, écouter les douleurs des uns et des autres, écouter leurs rêves, ceux qu’ils ont réalisés et ceux qu’ils ne réaliseront peut-être jamais.
C’est un bistrot grouillant de vie où l’on trinque au « pet » (pétillant), ce qui est tout de même moins guindé que de trinquer au champ (champagne) !
Bon, ce n’est pas un bistrot pour tout le monde et ça tombe bien car il n’y aurait pas la place.
Mais rien que par sa truculence, eh bien Jeannine sait nous réconfortet le cœur et l’âme et ce n’est déjà pas si mal.
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Journaliste et photographe, Pierrick a écrit une cinquantaine d’ouvrages dont une quinzaine de livres et guides sur les bistrots.
Vendredi, je vous parlerai de son ouvrage « Voyage dans les Bistrots de l’Ouest », paru aux éditions Ouest-France.
Depuis trois décennies,
la Mère Lapipe dans son bistrot
écoute les vies du quartierRécit
Pierrick Bourgault
HD ateliers henry dougier
7, rue du Pré aux Clercs, 75007 Paris
Diffusion Volumen
Prix : 14 €
Blandine Vié