La guerre des petits fours !
Vernissages, inaugurations, remises de prix ou de médailles, commémorations, anniversaires, lancements de produits, ouvertures officielles… tout est bon (sauf parfois l’essentiel !) pour réunir des voraces amateurs et professionnels en des lieux dédiés à ces agapes de circonstances.
Au départ, les intentions des participants sont pacifiques. Et puis, et puis, à mesure que se constitue la horde de soiffards en manque et d’affamés chroniques, la tension monte.
On sent bien que le président ou le récipiendaire ou Toto-le-héros du jour aura du mal à conserver l’attention du public jusqu’à la fin de son discours. Des mouvements d’abord imperceptibles, des pas glissés dans la direction du rafraîchissoir indiquent la légère impatience de l’auditoire et bientôt la ruée devient incontrôlable vers le Graal : LE BUFFET !
On assiste alors, ébahi ou amusé, au déclenchement d’une sorte de guerrilla urbaine où amis et ennemis évoluent sous le même uniforme, celui de l’armée des pique-assiettes gloutons. Le Djihad mondain peut commencer, qui consiste à attaquer avec une violence inouïe les plus belles réalisations de nos meilleurs traiteurs.
La bousculade fait ses premières victimes : la vieille dame trop chétive pour ce genre de match se fait éjecter de la première ligne : les piliers ont pris position, les talonneurs ravitaillent les amis postés à l’arrière et les ailiers sont passés par les côtés, normal. Les mains du deuxième rideau défensif se tendent dans le vide, croisant au-dessus des têtes celles qui ont pu saisir des flûtes de champagne dégoulinantes. On commence à glisser sur les éclaboussures de guacamole, les verrines sont trop loin des cuillères (ou le contraire).
Qui dira l’émotion de voir dévastés en quelques secondes les plateaux de navettes au foie gras…?
Comment ne pas être sensible aux agressions que subissent les serveurs dès leur sortie des cuisines…?
Le choc que représente la vision apocalyptique des tables, il y a peu nappées de blanc et dorénavant transformées en champs de ruines… Le pire, ce sont les taches noires que laisse le caviar sur les serviettes et les moquettes.
Décidément, la guerre, c’est sale ! Même si les pains-surprise ne sont pas fourrés de plastic, on craint toujours le boulimique compulsif qui engouffre les petits fours par poignées et menace d’exploser au milieu du cocktail de bienfaisance ! Sans confondre croustades et grenades, on s’inquiète quand même de l’animosité ambiante. En tentant d’attraper le dernier aspic, vous risquez de vous retrouver avec les dents d’une fourchette plantées dans la main, telle une morsure du serpent du même nom.
Mais arrivent les plateaux de fromages qui font reculer un peu les narines sensibles, permettant un début de renouvellement des troupes sur le front depuis le tout premier assaut. Pour certains becs sucrés, le repli n’est que stratégique, il n’est pas question de retraite ! Aux douceurs, les consciences politiques s’embrouillent un peu devant les pièces montées, les meringues, les mignardises… Biafrais, Éthiopiens, petits obèses du Tonkin, tout finit par se mélanger en une pulsion unique : avaler une autre bouchée ! Commentaires et récriminations peuvent commencer à fuser :
— « C’est pas du porc, j’espère ! »
— « Vous auriez un doggy bag ! »
— « Le déjeuner de presse d’hier chez Untel était la-men-ta-ble : j’ai même été obligé de dîner le soir, c’est dire ! »
— « Y a du gluten dans votre pain de mie ? »
— « Ah bah dites donc, quand est-ce que vous avez mangé pour la dernière fois, vous ? »
— « Trop sucrées toutes ces pâtisseries ! Mais je vais regoûter la tarte au citron ! »
— « Bon, je reprends une huître et une coupette pour la route. On m’attend pour des accords cassoulet/corbières ! Je suis tranquille : blanc puis rouge, rien ne bouge !
Allez, on ne m’y reprendra plus… jusqu’à la prochaine fois !
Patrick de Mari
Mag
9 mars 2015 @ 10 h 23 min
Tellement vrai !