Et si je mangeais le morceau ?
Si vous êtes un(e) adepte de la baronne Nadine de Rothschild et de ses manuels de savoir-vivre, je parie que vous seriez offusqué(e) de ne pas pouvoir couper votre viande en morceaux avec un couteau et une fourchette !
Rappelons pourtant qu’introduite par Catherine de Médicis, la fourchette n’est apparue en France qu’à la fin du XVIe siècle à la cour royale de France. Et encore, s’agissait-il d’une fourchette à 2 dents ! Le roi Henri III l’appréciait car elle permettait plus facilement — et plus proprement — de porter les aliments à la bouche alors que la fraise (je parle de la collerette plissée) était à la mode pour les hommes. Elle a pourtant mis du temps à être populaire car même si, au XVIIe siècle, elle était présente sur la table royale, personne ne se serait permis de s’en servir devant le roi Louis XIV qui préférait manger avec ses doigts. En fait, l’usage de la fourchette ne s’est répandu qu’à la Renaissance.
Ces guides de « bonnes manières » vont jusqu’à nous expliquer comment peler, dénoyauter et couper les fruits dans nos assiettes sans les toucher ! Il n’y a guère que les asperges qu’il est malséant de ne pas manger avec les doigts, on se demande bien pourquoi… hormis le fait que c’est bien meilleur comme ça !
Mais ces « bonnes manières » sont des civilités — pour ne pas dire une forme de snobisme, voire un atticisme exacerbé — que l’étymologie récuse. L’étymologie, cette discipline de la linguistique qui permet de tracer la filiation d’un mot jusqu’à son sens originel, autrement dit l’étude de la signification exacte, véritable, authentique, le « vrai sens ». Même si, bien sûr, il est normal que le sens des mots évolue au cours des siècles.
Mais il serait temps que je vous lâche le morceau, non ?
Ce mot vient de l’ancien français « mors », lui-même issu du latin « morsus » qui veut dire… morsure ! Eh oui ! Aujourd’hui un morceau est une portion séparée d’une chose solide mais à l’origine, un morceau, c’était la partie qu’on détachait — pour la manger — en faisant une morsure ! Par extension, un morceau est devenu la partie d’un tout, comme lorsqu’on casse un vase… en morceaux !
Le mot morceau a aussi donné les expressions « morceaux choisis » (pièces détachées les plus savoureuses d’un texte), « bas-morceaux » (parties moins nobles d’une carcasse servant à préparer des plats mijotés), et « morceaux du boucher » dont je vous raconte l’histoire ici : http://gretagarbure.com/2014/12/11/ptit-billet-dhumeur-83/