City 27 Microthéâtre : un nouveau concept théâtral
Il semblerait que l’idée ait germé en Espagne en 2008 : la représentation de pièces courtes dans un espace réduit pour un petit nombre de spectateurs. Et lors d’un repas un dimanche de novembre 2017 — l’histoire ne dit pas s’il fut bien arrosé —, une bande de copains passionnés de théâtre décidèrent de transposer cette formule théâtrale atypique en France, à Paris. Et c’est ainsi qu’un collectif formé d’Emma Fallet, Armelle Stepien, Stephan Druet, Sebastian Galeota, Francis Levêque et Nicolas Spanoudis s’est inspiré de ce nouveau format d’expression et a créé City 27 Microthéâtre : 3 pièces de 27 minutes dans un espace de 27 m2 pour 27 spectateurs.
Le lieu
Niché au cœur du 11ème arrondissement (à deux pas de la place Voltaire), dans une ruelle étroite très arborée et très fleurie absolument charmante, ce que son nom « cité industrielle » ne laisse guère présager, ce mini-théâtre se présente comme une boutique… au n° 27 évidemment ! C’est en fait là que se tient l’accueil.
Mais pour voir le spectacle, il faut descendre à la cave (très saine, je précise) par un escalier assez imposant. La salle est rectangulaire et les spectateurs s’assoient sur des bancs placés sur trois côtés du rectangle, de part et d’autre de l’escalier. Le mur d’en face tient lieu de fond de scène car une autre particularité de ce théâtre, c’est qu’il n’y a pas de scène sur laquelle monter, les comédiens jouant frontalement devant les spectateurs.
Les pièces
Tous les trimestres, le thème des pièces change. En début d’année, c’était « Le couple », ce trimestre-ci, il s’agit de « L’argent ». En été, ce sera « La nuit » et au dernier trimestre « Boucherie ». Si vous avez des vélléités d’écrire, de jouer ou de mettre en scène, allez sur le site et inscrivez-vous ! Car ce n’est pas le moindre intérêt de cette aventure qu’elle soit accessible à ceux qui se sentent une vocation.
Le thème de l’argent (en cours), se décline donc en trois volets : Cielos, Bien mal acquis et Le prix des larmes.
Cielos
Mise en scène : Katia Scarton-Kim
Comédiens : Philippe Cariou (le père) et Angeli Hucher de Barros (le fils)
Le pitch : la pièce se déroule à Mexico en 1941. Pedro et Juan Sanchez, père et fils, sont peintres en bâtiment. Ils achèvent de repeindre le magnifique plafond doré du théâtre de Las Bellas Artes. Or, la fin de ce chantier-là va réveiller chez eux une déchirure familiale. Mais les hommes sont changeants, tout comme leurs ciels d’ailleurs.
Le style est très influencé par la culture hispanique d’Amérique Latine.
Outre le fait qu’Anne Alice est une amie de longue date, c’est une pièce dont la philosophie n’est pas absente et qui invite à la réflexion sur trois points majeurs :
– comment on appréhende la valeur de l’argent selon qu’on le gagne pour (sur)vivre ou pour le dépenser ;
– devient-on pour autant artiste lorsqu’on est un artisan de talent qui pratique un métier aux confins de l’art ?
– et bien sûr sur le poids de la filiation.
Quand il s’agit de sujets du bac, les candidats ont 4 h pour remplir leurs copies. Anne Alice nous délivre (presque) les clés en 27 minutes. Néanmoins, ces questions taraudent même après le baisser du rideau (ici totalement virtuel) et l’on attend une suite, pour un autre format peut-être.
Ajoutons que les acteurs Angeli Hucher de Barros (le fils) et Philippe Cariou (le père), forment un tandem épatant.
En savoir plus sur l’auteur, Anne Alice Fontaine : grande amoureuse des mots, elle a été libraire, lectrice, agent littéraire et éditrice. En 2015, elle décide d’écrire à son tour et le théâtre s’impose. Le barrage des mots ayant cédé, elle devient prolifique. Elle enchaîne l’écriture de plusieurs pièces : La Traversée, Peter Pan conte irlandais, Pour que rien ne s’efface et Cielos. Suivront L’Odyssée du Docteur Plumeau, Mexico 41, Grand Joe, Le dernier rôle et Le chat de Barral.
Bien mal acquis
Mise en scène : Cécile Carrère
Comédiens : Clément Hassid, Johann Coste et Michel Heim
Le pitch : Johnny, un jeune malfrat sans envergure, est branché par son pote Kévin, escort de profession, sur un « petit casse pépère » dans une villa de la Côte d’Azur dont le propriétaire est absent. Malheureusement pour lui, rien ne se passe comme prévu. Mais qu’est-ce qui était prévu au juste ?
On bascule ici dans le théâtre de boulevard, style policier comique. Les mots sont un peu crus mais ils sortent de la bouche d’une petite racaille ou du propriétaire revenu par inadvertance et qui se révèle finalement plus voyou que son cambrioleur un peu naïf. Les répliques fusent, souvent triviales, mais c’est bien ficelé et tout le monde rit. Nul doute qu’en version longue, c’est une pièce qui aurait du succès sur les Grands Boulevards.
Les comédiens sont parfaits dans la peau de leurs personnages, notamment Michel Heim qui est également l’auteur de la pièce.
En savoir plus sur l’auteur, Michel Heim : né à Paris en 1945, cet ancien expert comptable a présidé pendant un quart de siècle aux destinées de Compagnie Les Caramels Fous pour laquelle il a écrit une douzaine de comédies musicales parodiques dont Les dindes galantes nommée aux Molières 2006, et Madame Mouchabeurre. À la fin des années 90, il aborde le théâtre parlé (une vingtaine de pièces à ce jour) ; auteur prolixe, il se fait connaître notamment avec La nuit des Reines, Tante Olga et La nuit des dupes. Au Festival d’Avignon 2016, il est l’auteur vivant le plus joué avec six pièces représentées chaque jour par diverses compagnies : Jeux de l’amour et du pouvoir, L’Émule du pape, Madame est morte !, Le Maître et le chanteur, Adieu Bérénice et L’Opération du Saint-Esprit.
www.le-theatre-de-michel-heim.fr
Le prix des larmes
Mise en scène : Alexandra Causse
Comédiens : Marion Subtil et Christophe Bicchiera
Le pitch : Au XIXe siècle, un notaire lit un acte notarié à une toute jeune femme, Fanette. Cet acte inhumain qui demande à la toute jeune mère d’abandonner son nourrisson qu’elle tient encore tout contre son cœur, un abandon pour une soi-disant vie meilleure. Puis un match s’engage entre les deux protagonistes, où le gagnant est loin d’être celui des deux que l’on croit.
On plonge cette fois dans l’atmosphère d’une nouvelle à la Maupassant avec sa hiérarchie des classes (le mépris des petites gens), ses non-dits, ses secrets sordides, ses croyances religieuses, le savoir mystérieux de certaines femmes qu’on prend pour des sorcières, une magie diffuse, tout cela n’étant cependant pas dénué de poésie, la poésie triste des pauvres et l’incroyable toupet des notables. C’est beau, c’est fort, c’est déchirant. C’est la paysannerie d’autrefois. On pense aussi à Giono.
La jeune Marion Subtil a un jeu sensible et campe parfaitement la jeune femme qui se révolte contre son destin alors qu’on veut la priver de la chair de sa chair en achetant son silence.
En savoir plus sur l’auteur, Nicolas Spanoudis : Homme d’images et auteur, il est réalisateur de publicités, de programmes courts, et il écrit pour la télévision (Un gars, une fille – Scènes de ménage), pour le cinéma (Il est né le divin enfant – Rêve de serpent) et pour le microthéâtre (À rebrousse-poil – Le prix des larmes).
Un formidable outil pour les auteurs,
les comédiens et les metteurs en scène
Qu’ils soient jeunes, professionnels en herbe ou confirmés, voire vieux briscards de l’univers théâtral, cette redéfinition de format qui respecte pourtant « la règle des trois unités » (de lieu, de temps et d’espace) est un exercice de style fabuleux pour tous : auteurs, comédiens et metteurs en scène. D’autant que les auteurs peuvent choisir leurs metteurs en scène et leurs comédiens dans un vivier d’adhérents. Ces chassés-croisés et ce partage de la créativité enrichissent encore ce qu’on pourrait prendre pour des saynètes mais qui s’affirme bien être de véritables pièces de théâtre aux genres différents, construites sur le modèle du théâtre classique ou de boulevard mais en version compactée : des petits bijoux avec des crescendos et des decrescendos, des rebondissements et, précisément, des coups de theâtre.
Pour le spectateur, la possibilité d’assister lors d’une même soirée à une pluralité de genres autour d’un thème commun par des artistes d’horizons différents ne peut être qu’une source de satisfaction intellectuelle et de jubilation car il appréhende ainsi un thème donné sous plusieurs facettes, ce qui démultiplie sa rélexion tout en lui procurant différentes émotions, du rire… aux larmes.
Cerise sur le gâteau : pour lui laisser le temps de récupérer ses esprits, entre chaque pièce, il peut monter dans la boutique boire un verre (de rouge ou de blanc) et grignoter quelques tapas (le mot est un peu ambitieux) proposés par le chef Francis Lévêque.
Le point de vue du spectateur grincheux
Bon, comme il faut toujours un petit bémol pour accréditer les compliments, j’ai envie d’ajouter que si l’expérience est fabuleusement formatrice pour tous les protagonistes et que même les décors succincts (faute de place) obligent à des prouesses d’inventivité qui font mieux écouter les textes, en revanche, l’acoustique de la salle est parfois problématique quand un comédien joue d’un côté de l’escalier et n’est donc plus face à ceux qui se trouvent de l’autre côté. Mais surtout, le confort des bancs de bois étant plus que spartiate, même avec des coussins, sans dossier on a très vite mal au dos. De plus, cette disposition anguleuse ne permet pas réellement aux spectateurs de se mettre en arc de cercle et limite ipso facto le champ visuel. Aussi je suggère de les remplacer le plus rapidement possible par des fauteuils disparates récupérés dans des vide-greniers. Et si jamais un fauteuil Louis XV ou un fauteuil club encombrait l’un ou l’autre de nos lecteurs, qu’il sache qu’il a toujours la possibilité de venir généreusement le déposer au Microthéâtre !
Les samedis à 19 h & les lundis à 19 h30 jusqu’au 9 juillet.
Thèmes :
le samedi : l’argent
le lundi : le couple
Téléphone : 01 43 87 20 32
Courriel : city27studio@gmail.com
Site : www.city27.fr