Au Bœuf Couronné, brasserie, Paris 19e
Nostalgiques de l’époque des Abattoirs de La Villette et du « c’était mieux avant », passez votre chemin ! Les années se sont égrénées, le quartier a radicalement changé. J’en sais quelque chose, mes grands-parents habitaient avenue Jean Jaurès, même si à l’autre bout qui était alors un quartier bourgeois et qui est devenu presque pouilleux. Quant à cette fin d’avenue où se tenaient autrefois les abattoirs, elle s’est totalement métamorphosée et même prolongée jusqu’aux boulevards des Maréchaux, quasiment jusqu’au périphérique. La création du Parc de la Villette et de la Cité des Sciences et de l’Industrie d’abord, puis les constructions diverses et enfin le tram ont lifté la physionomie de ce coin populaire de Paris comme après une opération de chirurgie esthétique. C’est comme ça, c’est la vie, la roue tourne et l’eau coule sous les ponts, nous sommes au XXIe siècle et plus au XXe.
Au contraire, louons-nous de ce que cet établissement mythique soit resté dans son jus et n’ait pas été atteint par la gangrène de la restauration rapide (pour ne point parler américain). Oui, même si les maquignons, les chevillards, les forts des halles et les bouchers ne sont plus là pour discuter le bout de gras et toper dans la main d’un partenaire pour conclure un marché tout en dévorant des pièces de viande impressionnantes, apprécions qu’Au bœuf couronné demeure un restaurant voué à la viande, héritier d’un passé prestigieux qu’il pérennise sans toutefois être tombé dans la tentation du folklore.
Sur ce, passons à table !
Pandémie oblige, plutôt que de dîner dans la belle salle au décor rénové sans trahison (banquettes rouges, luminaires art-déco), comme il faisait très beau, mon camarade et moi avons rejoint le patio au fond du restaurant, ce qui fut très agréable car on se serait presque cru à la campagne. Bon c’était avant qu’une famille nombreuse vienne bruyamment envahir l’espace pour fêter un anniversaire, laissant leurs enfants courir partout. Heureusement nous étions dans le coin opposé aussi ne boudons pas notre plaisir car ce n’est évidemment pas la faute du restaurateur quand des clients manquent de savoir-vivre.
Tout en buvant une coupe de champagne Jacquart et en picorant quelques rondelles de saucisse sèche de l’Aveyron (excellente), nous voici en train d’explorer la carte pour faire notre choix.
Hélas, pandémie oblige (bis repetitam) et les consignes sanitaires étant srictes au niveau du personnel en cuisine, nécessairement moins nombreux (induisant ipso facto la suppression de postes-clés), un certain nombre de plats de la carte ne peuvent plus être préparés, au nombre desquels malheureusement des spécialités mythiques de la maison comme les pommes de terre soufflées ou l’omelette norvégienne.
Nous commençons donc par une Friture de petits poissons en bouquet sauce tartare (8,5 €), fantaisie qui ne dénote pas dans un restaurant à viandes. Bien que très ressemblants, ils ne sont pas qualifiés d’éperlans (osmerus eperlanus), ces poissons d’estuaire de la famille du saumon et de la truite qui se déplacent le long de la côte littorale et remontent les fleuves en bancs pour aller pondre sur les fonds graveleux ou sableux. Ce sont en fait des petits poissons dits mangetouts (Atherina boyeri) encore appelés athérines ou Joël), pêchés au large de l’Atlantique entre le Portugal et la Mauritanie. On les trouve aussi dans d’autres mers. Mais j’apprécie la franchise — disons l’honnêteté — de l’intitulé de la carte qui ne joue pas sur l’ambiguïté.
Qui plus est, cette friture est croustillante à souhait, cuite juste comme il faut (et non trop comme c’est souvent le cas) pour que les poissons restent moelleux à cœur. Et la sauce tartare (faite maison) est parfaite.
Avec cette entrée plus qu’apéritive, nous avons bu un verre (18 cl) de Pouilly Fumé Pascal Jolivet 2018 (10 €) dont le petit côté pierre-à-fusil s’harmonisait idéalement avec la friture, les arômes du cépage blanc fumé (nom local du sauvignon dans la Nièvre) étant beaucoup plus subtils que certains sauvignons sauvignonnant… comme on dit. N’épiloguons pas.
Mais passons aux plats de résistance, à savoir des pièces de boucher, évidemment. Pour mon acolyte, ce sera une Généreuse entrecôte persillée (400 g, 35 €) et pour moi un Pavé des mandataires dans le filet de bœuf (300 g, 38,50 €) accompagné de sa béarnaise. Bœuf de race normande, cuissons selon nos vœux, tendreté, goût. Cependant, j’ai pour mon compte regretté d’avoir choisi une sauce béarnaise qui était quelque peu redondante avec la tartare de l’entrée et si c’était à refaire, je prendrais la sauce au poivre.
Les frites étaient correctes même si nous aurions préféré des pommes soufflées.
Sans vous dévoiler toute la carte, pami ces spécialités bouchères, nous aurions pu aussi choisir un Cœur de rumsteak (300 g, 25 €), un Cœur d’aloyau « Fort des Halles » (300 , 26 €), un Tartare classique (19 €), un Onglet aux échalotes confites (200 g, 18 €) ou quelques spécialités pour deux : Bavette d’aloyau à la plancha (500 g, 39 €), une Côte de bœuf grillée Villette (1200 g, 75 €), un Chateaubriand des bidochards (700 g, 77 €), ou encore un Rognon de veau entier grillé, sauce moutarde à l’ancienne (23,50 €).
Signalons aussi un menu Club Affaires à 36 € (apéritif, entrée, plat, le tout au choix + assiettes de fromages + dessert au choix + demi-bouteille d’eau ou demi-bouteille de Buzet (blanc, rosé ou rouge) et café. Une bonne affaire, donc.
Curiosité de la maison : le couteau pour couper la viande n’est pas le même pour les hommes et les femmes. Ces dernières ont droit à une version moins « guerrière ». Attention qui a valu à la dame que je suis d’être jalouse de mon partenaire. On n’est pas des fillettes, quand même !
Autre petite remarque : attention à la moutarde qui s’oxyde rapidement dans les pots sur les tables.
Bon, un rouge de caractère s’imposait pour escorter ces viandes, aussi avons-nous opté pour un Saint-Joseph Deschants 2017 de chez Chapoutier (49,50 €) à la hauteur de ce qu’on attendait de lui.
Après ce repas de carnivores, un peu de douceur s’imposait. Ce furent donc des Pruneaux à l’armagnac (12,50 €) pour mon commensal, jolie ponctuation pour un dîner.
Quant à moi, comme souvent dans une brasserie, je ne résiste pas au Baba au rhum (11 €). Sans Chantilly (ce qui ne me prive pas outre mesure) puisque celle-ci est faite maison et que le préposé était contraint de rester chez lui. Pour la peine, j’ai mis un trait de rhum en plus !
Enfin, bon point pour la maison : notre serveur a su répondre sans barguigner à toutes les questions que nous lui avons posées (provenance de la saucisse, de la viande, etc.) alors que bien souvent le personnel répond « Attendez, je vais demander en cuisine ».
Preuve d’un réel intérêt et/ou d’une bonne direction.
La linguiste que je suis tient quand même à signaler deux petites fautes pour l’impression des prochains menus : chateaubriand ne prend pas d’accent circonflexe et steak ne prend pas de c avant le k. Peccadilles.
C’est donc une expérience satisfaisante que nous réitérerons sans doute en des temps moins cruels où il sera possible de goûter aux pommes soufflées, voire à l’omelette norvégienne.
Invitation d’un attaché de presse.
Au Bœuf Couronné
188, avenue Jean Jaurès – Paris 19e
Tél. 01 42 39 44 44
Ouvert tous les jours.
M° ou tram T3b : Porte de Pantin
www.boeuf.couronne.com