Accordailles gourmandes pour la maison Piot-Sévillano
Il en est des accords mets et vin comme des accordailles en amour.
Il y a les rencontres qu’on évite à tout prix, celles dont on a envie de dire « peut mieux faire », les troublantes qui vous laissent des souvenirs à jamais même si elles furent éphémères, les pantouflardes qui s’installent dans un ronron pépère, les douces qui confinent plus à l’amitié, les retrouvailles qui ont un petit goût de revenez-y, les coups de foudre, les perturbantes qui vous mettent le cœur à l’envers, les classiques qui se terminent par un mariage, les improbables qui se terminent par un divorce… et mon inventaire n’a rien d’exhaustif.
Eh bien, pour les harmonies entre plats et vins, c’est pareil. Tous les goûts sont dans la nature mais certains couples ont un feeling particulier et fonctionnent mieux que d’autres.
Nous avions déjà fait une dégustation de trois champagnes de la Maison Piot-Sévillano en septembre, associés à trois pains insolites élaborés par Anthony Courteille (boulangerie SAIN). Des pains dont on ne peut que louer l’originalité et le goût puisqu’il s’agissait d’un pain de seigle aux moules marinière et à l’estragon, d’une focaccia aux cèpes, à l’andouille et au parmesan, et d’un pain brié (entre pain de mie et pain brioché) farci au maroilles et la fondue de poireau au safran. Je les ai beaucoup appréciés individuellement, seulement voilà, j’ai trouvé qu’ils avaient tellement de personnalité que leurs saveurs écrasaient trop les champagnes de la maison Piot-Sévillano qui en paraissaient effacés, presque mous. Pour le coup, c’était bon de part et d’autre mais on avait affaire à un couple dominant/dominé où l’un subissait trop docilement les assauts de l’autre. Je ne dis pas qu’on ne peut pas aimer ça — jouer est le propre de l’homme (aussi) — mais c’est un jeu qui peut déstabiliser. Et en l’occurrence, ces pains hauts en saveurs en avaient effectivement (à mon avis) un peu trop imposé aux vins.
Dans ce premier pain, j’ai trouvé que l’etragon était trop puissant, du moins dans mon morceau.
Dans cette focaccia, c’était cette fois l’andouille qui dominait le champagne Tradition Piot-Sévillano.
Et dans ce joli pain brié, ce n’est pas tant le maroilles que le safran que j’ai trouvé trop présent par rapport au champagne 2010.
Mais encore une fois, cela n’engage que moi, d’autant que la dégustation a eu lieu en plein air au bord du canal Saint-Martin un jour venteux et plutôt frais, ceci expliquant peut-être que mes papilles aient été frileuses.
La seconde dégustation a eu lieu dans un endroit abrité pour regoûter le champagne brut Tradition et le champagne millésimé 2010 mais aussi pour découvrir un étonnant coteaux champenois rosé 2017 (photo sous le titre), donc un vin tranquille. 100% meunier et mono-parcellaire, il s’agit véritablement d’un rosé de gastronomie particulièrement efficace sur les mets d’automne. Avec sa robe très colorée qui change des rosés pâlichons de l’été, ses arômes de fruits rouges (framboise, groseille, mûre) lui donnant un fruité puissant et une bouche à la fois tendre et acidulée, il a superbement affronté la terrine de baeckeoffe de Gilles Vérot (composée de paleron de bœuf, de poitrine de cochon et d’épaule d’agneau, le tout cuit séparément à basse température puis assemblé avec une farce de poitrine de porc pour lier, des carottes et le jus avant qu’il ne devienne gelée) mais il aurait pu aussi bien faire face à une terrine de sanglier.
Pour accompagner le champagne brut Tradition Piot-Sévillano (70% pinot meunier, 15% pinot noir, 15% chardonnay), Gilles Vérot avait préconisé son pâté en croûte « vice-champion » — qui avait été second au championnat du monde du Pâté-Croûte (comme on dit à Lyon) en 2011 —, à savoir un pâté alliant du cochon du Perche, de la volaille jaune des Landes et du foie gras de canard sous sa croûte de pâte brisée sablée au beurre. Autant dire une pure merveille. Accord somptueux où la bonne acidité du champagne venait émoustiller le gras du pâté dans une sorte de baiser gourmand. Comme nous l’a expliqué Gilles Vérot, il prépare la farce qui lie le tout avec de la gorge de cochon du Perche parce qu’elle comporte du maigre au contraire de celle du porc noir de Bigorre qui serait trop grasse pour cette préparation. Mais on peut aussi prendre de la poitrine qui alterne gras et maigre.
Les bulles fines et élégantes du Tradition enrobaient l’onctuosité du pâté avec une belle rondeur mais suffisamment d’équilibre et de tonicité pour ne rien perdre de ses notes florales, de son fruité et de son côté acidulé. Un mariage à la fois d’amour et de raison, donc. Mais sa douceur eut pu être également d’une belle compagnie sur un risotto ou sur des fromages de chèvre.
Enfin sur le champagne millésimé Édition 2010 de Piot-Sévillano (65% pinot meunier, 35% chardonnay, resté 10 ans sur lies), notre charcutier préféré avait concocté un « marbré d’automne et d’hiver » dense et assez riche, associant du jarret de veau désossé, du filet de canard cru et du foie gras cru. Cette fois, que du maigre, sans farce, mais d’une onctuosité très puissante. Avec son nez expressif sur les fruits blancs et les agrumes, sa bouche ample et charnue sur la poire et les fruits secs, d’une belle longueur, ce 2010 a révélé toute sa vigueur et son équilibr face à l’élagant marbré. Un duo de haute volée qui aurait pu également fonctionner avec un gibier à plumes ou même un beau poisson de mer, ce champagne ne craignant pas l’audace.
Bref, une bien belle expérience !
Merci à Jean Dusaussoy qui a travaillé sur les accords.
Prix des vins :
– Coteaux champenois rosé Indiscrète 2017 : 45 € TTC
– Champagne extra brut : 23 € TTC
– Champagne brut nature : 28 € TTC
– Champagne Édition 2010 34 € TTC
Champagne Piot-Sévillano
23, rue d’Argentelle – 51700 Vincelles
Tél. 03 26 58 23 88
www.piot-sevillano.com
Gilles Vérot charcutier
3, rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris (maison mère) – M° Saint-Placide
Tél. 01 45 48 83 32
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