Vins de pauvres, pauvres vins ?
Les compte-rendus de dégustations sont souvent l’occasion d’étaler complaisamment, sous les yeux du vulgum, le bonheur presque indicible d’avoir été privilégié, choisi, élu, désigné par le doigt de Dieu, dans le seul but de faire baver d’envie le modeste lecteur, buveur de peu.
Eh oui ! Dans un lieu dédié à ces messes païennes, le conclave des compétents (en un seul mot, s’il vous plaît !) officie à l’écart des trépidations d’un monde structurellement décadent, à l’abri de la contagion des mal-comprenants et des profanes. Ainsi nous autres, initiés de longue date, pouvons à loisir et en total confort tresser des couronnes à des vins d’exception, manier le dithyrambe à l’égard de vins exceptionnels par leurs qualités et leurs prix. Ils nous arrivent même de croire aux effets d’une sorte de contagion qui nous permettrait de bénéficier d’un peu de leur beauté ! Les retours sur terre sont parfois brutaux, la réalité peut sembler cruelle à ceux qui se voyaient à l’égal des châteaux, médocains ou autres, qui les hébergeaient juste le temps de faire leur travail harassant. Il est vrai qu’à choisir parmi les mille et une bouteilles qu’on nous propose de goûter, autant se faire plaisir !
Mais à force de boire plus haut que son cru, on s’éloigne sans cesse un peu plus des habitudes de consommation de la moyenne des Français, de ceux qui ne sont pas CSP+++ et qui achètent leurs vins courants dans les surfaces hyper grandes des radieuses cités de nos périphéries enchanteresses.
Alors, fort de ce constat, j’ai courageusement pris mon bâton de pèlerin de Compostelle, mon sac à dos et mes chaussures de montagne afin d’aller dévaliser le rayon liquides du magasin Casino Shopping de ma chère ville de Bayonne, à un bon 150 mètres de mon domicile, autant dire de son centre historique.
Il m’a fallu une bonne quinzaine de repas pour effectuer un « pairing » inattaquable (nouveau nom autrement plus chic de « l’accord mets-vins »).
Résultat des courses :
Parmi le Vieux Papes (2,15 €), le bordelais Yvecourt (4,25 €), le tempranillo du Castillo San-Carlos (3,39 €), l’Éclat du Rhône (3,73 €), le vin du Gard (2,24 €) et son encore plus modeste voisin de l’Aude (2,05 €), les célèbres Ormes de Cambras (3,88 €), j’aurais sans doute mieux fait de servir un ragoût de ragondin aux cerises ou une poêlée de champignons rouges à pois blancs… Certains auraient mérité directement une décoction d’ipéca aux vertus vomitives salvatrices !
L’ambition de certains autres a pu me sembler sensiblement démesurée telle celle revendiquée par « Bons cépages Belles vignes » ou bien encore le sobre « Jean Duvignoble » (2,32 €), tous trois issus de la Communauté Européenne. La seule précision figrant sur l’étiquette indique que c’est du ROUGE (les daltoniens lui disent merci !). En termes de prix, la lanterne de la même couleur est détenue par l’espiègle et sympathique « P’tit Caboulot » (11° pour 1,85 €) qui a le mérite essentiel d’annoncer son usage exclusivement préconisé lors de samedis soirs dansants : il peut se boire et se transpirer durant la même java !
Il est difficile de parler de véritables pépites parmi les vins restants. Mais le Vieux Papes Merlot-Syrah (3,17 €) et le Merlot du Pays d’Oc signé par le « Club des Sommeliers » de l’enseigne sus-nommée (2,90 €) présentent quelques qualités gustatives qui leur permettent de figurer sur les tables lors de repas honnêtes.
En tête de cette dégustation que je qualifierais volontiers de méritoire et finalement instructive aussi, je place le très honorable cabernet-sauvignon de Roche-Mazet (2,94 €) appartenant au tentaculaire groupe Castel. Son succès est justifié par une matière équilibrée, des tanins souples, un fruité plaisant, le tout évidemment sans excès. Non seulement, il peut comme tous les autres très avantageusement remplacer l’eau du robinet ou la bière tiède mais de plus, il ne fera pas honte aux amphitryons impécunieux. Pour être dans la moyenne de prix des achats de nos contemporains, eh bien je lui trouve beaucoup d’intérêt.
Alors, à ceux qui en feront leur ordinaire et aux autres qui lui réserveront les beaux dimanches, il restera à monter la marche suivante, celle qui leur permettra d’accéder à de nouveaux univers, à de nouveaux plaisirs.
Les vignerons et les cavistes ouvriront portes et cœurs à leur curiosité et les inviteront à goûter, à tester, en d’autres mots : à faire attention à ce qu’ils avaleront. Ils dégusteront ainsi des différences, des arômes inconnus, des saveurs insoupçonnées. Peut-être même que leur apprentissage de ces petits bonheurs les rendra meilleurs…