Vous n’aurez pas mes cendres ! Patricia de Figueirédo
Voilà un roman dont je voulais vous parler depuis un certain temps déjà mais les jours filent sans qu’on les voie passer lorsque l’on est soi-même plongée dans des écritures diverses et variées.
Toujours est-il que j’ai trouvé astucieuse l’idée de faire dialoguer un personnage contemporain avec un écrivain qui a vécu à cheval sur les XVIIIe et XIXe siècles, écrivain que vous aurez peut-être reconnu à son portrait en couverture : François-René de Chateaubriand. Et que l’instigateur de cet échange soit un dramaturge m’a paru judicieux.
L’audace ne s’arrête pas là puisque le thème de la pièce que le protagoniste Serge Malakoff est en train d’écrire implique également un dialogue — ou pour mieux dire, un affrontement — entre Chateaubriand et Émile Girardin. Il faut dire que nous sommes en 1844, c’est-à-dire que Chateaubriand (1768-1848) est presque à la fin de sa vie tandis que Girardin (1802-1881) est un journaliste dans la force de l’âge qui a fondé le journal La Presse en 1836, avec cette innovation inouïe d’y avoir introduit de la « réclame », doublée de l’idée — saugrenue pour Chateaubriand — de faire paraître les romans d’auteurs sous forme de feuilletons (par exemple Dumas ou Balzac) pour s’assurer la fidélité de ses lecteurs.
De prime abord, le thème m’a particulièrement intéressée car il se trouve que Chateaubriand a fait partie du panthéon de mes auteurs préférés à l’adolescence. Je l’ai même eu en sujet de français au Brevet (avec une note épatante), un diplôme qui se passait encore au lycée à l’époque. Ah ! Combourg, mon donjon ! Combien j’ai rêvé d’y passer du temps et de me balader dans la campagne malouine. Sans doute, ayant été le premier écrivain à être qualifié de romantique, Chateaubriand était-il destiné à émouvoir une jeune fille de quinze ans. Et même s’il y a fort longtemps que je n’ai pas relu ses Mémoires d’outre-tombe, je suis toujours sensible au souvenir de leur lecture.
Sans vous en dévoiler plus quant à l’intrigue, ce qui gâcherait le plaisir de votre lecture, j’aimerais simplement vous dire que le style de Patricia de Figueirédo est alerte, que les enchaînements d’une époque à l’autre se font avec une fluidité étonnante, qu’elle n’hésite pas à convoquer l’acteur Pierre Arditi et le metteur en scène Bernard Murat pour le casting de la pièce, voire Jacques Weber ou Bernard Le Coq et que le tout est très vivant car on partage aussi les tourments de la vie quotidienne de Serge Malakoff qui a parfois du mal à se concentrer entre son ex et sa nouvelle femme, toutes deux comédiennes (ce qui n’arrange rien), son meilleur ami Ludovic (lui aussi comédien), son chat Papillon et sa famille établie à l’étranger. Il finit même par avoir des hallucinations dont on ne sait trop si ce sont elles qui l’aident à passer d’un siècle à l’autre, ce qui suscite parfois des scènes cocasses.
Bref, c’est un roman que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire, d’une certaine ambition, étayé par des connaissances historiques et où Patricia de Figueirédo réussit la gageure de ne jamais installer aucune fracture entre les différentes scènes, qu’elles aient lieu aujourd’hui ou hier. Par conséquent un pari réussi et un moment de détente « intelligente » assuré.
Bon, mon œil de correctrice impitoyable suggère cependant quelques infimes retouches orthographiques pour la deuxième édition : « çà et là » prend un accent grave sur le « a » de çà mais pas de tirets entre les mots (page 87) ; « coté » ne prend pas d’accent circonflexe sur le « o » dans cette acception (page 120) ; « tannique » prend deux « n » (page 133). Rien que des peccadilles en vérité.
Vous n’aurez pas mes cendres !
Roman de Patricia de Figueirédo
176 pages
Serge Safran éditeur
Pix : 16,90 €
À noter que ce texte est également disponible en version numérique.