« Toutain festin » autour du pastis Henri Bardouin !
Il y a des déjeuners de presse qui marquent plus que d’autres. Ce fut le cas pour ce déjeuner autour du pastis Bardouin chez David Toutain.
Il y a longtemps qu’Alain Robert — Président Directeur Général des Distilleries de Provence — et moi nous connaissons et, en bavardant, nous nous sommes aperçus que j’avais raté les quatre dernières éditions de ce déjeuner annuel rituel avec la presse. Il s’agissait donc de retrouvailles.
C’était aussi ma première expérience chez David Toutain, n’ayant pu me rendre à trois déjeuners de presse précédemment orchestrés par ce chef nouvellement étoilé.
D’abord, j’ai apprécié la sobriété et l’élégance du lieu qui conjugue bois, verre et béton dans des tons de blond et de gris. C’est épuré, harmonieux et apaisant.
Ensuite, si j’ai trouvé la cuisine de David Toutain formidable, j’ai encore plus apprécié la réflexion ayant abouti à un véritable accord avec le pastis. Ce n’est pas toujours si évident que ça d’accorder mets et vins mais c’est encore plus difficultueux lorsqu’il s’agit d’un accord avec un spiritueux ou un apéritif, démarche qu’on pourrait presque qualifier de kamikaze en cette période où même le vin est diabolisé. Pourtant, il est vrai que « faire » tout un repas au cognac, à l’armagnac, au whisky ou au saké — j’ai expérimenté les quatre ! — peut être rude quoique plaisant, surtout si on a le temps de faire une petite balade digestive après.
Là, nous avons de la chance, il fait un temps à jouer à la pétanque et la façade en verre est ouverte sur une rue plutôt calme, ce qui nous donne quasiment l’impression d’être, sinon en Provence, du moins en escapade.
Mais passons aux choses sérieuses et parlons d’abord du pastis Henri Bardouin qui se démarque complètement des autres anisés.
Car oserais-je l’avouer ? Je n’aime pas les « jaunes », surtout à l’apéritif parce que ça gâte le palais avant un repas. Mais là, c’est différent. Le breuvage est fin, équilibré, complexe et doux, sans l’effet anesthésiant propre à certaines marques.
C’est que le pastis Bardouin est un « Pastis Grand Cru », élaboré avec 65 plantes et épices : fenouil, thym, anis vert, armoise et autres plantes de Provence, mais aussi badiane (anis étoilé) de Chine, maniguette (poivre de Guinée), fève tonka d’Amérique du sud, réglisse, muscade, clou de girofle, cardamome, etc. Une symphonie d’arômes au goût métissé. Fin en bouche, moelleux avec une pointe d’amertume et quelques touches poivrées. Très délicat.
Passons maintenant à table.
J’ai raté le premier amuse-bouche « Blanc manger sole avocat » proposé pendant la présentation mais la « Praire au serpolet » qui s’invite à table a bien un goût de vacances.
L’ « Œuf mousse, brioche au maïs, caramel au carvi et graines de fenouil » nous rappelle que nous sommes dans la meilleure période pour les œufs et son onctuosité et ses arômes font écho au pastis.
Mais voilà qu’arrive un « Merlan – Pastis – Fenouil » (confit, servi froid avec une crème de fenouil et réglisse et une crème de crevettes) accompagné de « Petits pains au maïs » tout à fait réjouissant et lui aussi, parfaitement en harmonie avec les saveurs douces et anisées du pastis.
Continuons avec une « Terrine de ris de veau anisé » d’une belle somptuosité. Riche en champignons (pleurotes, pieds de mouton, trompettes de la mort), elle comporte aussi un peu de chou (très discrètement) et est servie avec un chutney d’oignons de Roscoff au gingembre. Tout en rondeur, l’accord avec le pastis est évident et concluant (même si un champagne eut aussi fait son effet).
Pour nous refaire la bouche avant la suite du festin, un peu façon trou normand, voici une « Asperge rôtie meunière – Cannelle – Badiane » servie avec un beurre noisette et une mousseline de poivrons et piquillos. « Goûtu » !
On redémarre avec un « Cabillaud à l’huile d’olive – mayonnaise au thym – carotte confite » parsemé d’un peu de poudre d’olives noires et d’une fleur de coucou des bois. La cuisson du poisson « à la nacre » est fabuleuse !
C’est maintenant au tour de la volaille, une « Poularde de Normandie cuite en feuilles de sauge – champignons de Paris – clou de girofle » servie avec un crumble noisettes. Là encore, la cuisson est divine et les saveurs se relayent comme les notes de musique dans un orchestre symphonique.
Terminons par le dessert qui n’était pas le moindre challenge : une « Tarte vanille citron – fève de Tonka – pastis » avec une crème glacée à la marjolaine et du fenouil confit. Une tarte-poème !
Bon, les truffes au chocolat servies en mignardises ne s’imposaient pas mais comment résister à la gourmandise ?
Quant aux petites madeleines à la fleur d’oranger, elles sont tout simplement irrésistibles !
Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé la « construction » de ce repas où nombre des épices entrant dans la composition du pastis « Grand Cru » Henri Bardouin ont été déclinées avec beaucoup de subtilité et mises en valeur en fondu-enchaîné, par petites touches juxtaposées qui m’ont fait penser à ce quatrain de Baudelaire dans son sonnet « Correspondances » (in « Les Fleurs du Mal ») :
« Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »