Les épousailles d’un Reignac et d’une aiguillette !

Tout le monde se rappelle la scène de Sally simulant l’orgasme dans un restaurant : « Donnez-moi la même chose qu’elle ! » dit une cliente envieuse d’un tel effet ! Eh bien, j’ai failli avoir cette même réaction. Sauf que j’étais chez moi et seules mes pommes de terre étaient sautées…!
Le matin, aux Halles de Bayonne, mon regard vagabondait devant l’étal de Didier Carrère, MON boucher (heureusement pour lui, je ne suis pas SON client, nous sommes nombreux à nous le partager). Le personnel est prévenant, efficace et poli. À la caisse, Madame Carrère a un mot gentil pour tout le monde. Mais surtout, surtout, les viandes sont belles. Il suffit de demander et on a droit au pedigree complet de la vache qui n’est pas de réforme mais allaitante. Trop tôt arrachées à l’affection des leurs, ces simmentals donnent le meilleur d’elles-mêmes avant l’âge de 5 ans. La chair des agneaux de lait est nacrée et les grillades de porc croquent sous la dent. Et puis, je tombe sur un morceau que je ne connaissais pas sous un aspect aussi persillé : l’aiguillette de rumsteck.

Rendez-vous est aussitôt pris pour le soir même avec une jolie bouteille. Je choisis un vin récemment bu au château au cours d’un joli déjeuner : le Grand Vin de Reignac 2001. J’aime beaucoup ce millésime à Bordeaux, qui n’a eu que le tort d’arriver (étrangement !) après le 2000, prévendu et même survendu. On avait pris soin de nous préciser lors de ce repas qu’il avait laissé derrière lui nombre de grands crus classés français, américains, italiens, australiens. Alors, je le carafe une heure avant le dîner.
La cuisson de la viande se fait à température suffisamment basse pour laisser fondre le gras du persillage. Les pommes de terre sont rissolées à point. La messe peut commencer ! Enfin, n’exagérons rien… La notion de sacrifice, même laïque, est très relative ! Le corps et le sang se mêlent dans une noce païenne mais c’est bien un mariage d’amour. La viande se révèle tendre, goûteuse, juteuse et le vin… grand !
Pour un tas de raisons, je n’ai pas participé à la dégustation du Grand Jury Européen qui l’a sanctifié devant Mouton, Margaux, Ornellaia, Latour et bien d’autres. Mais ce soir, comparaison n’étant pas raison (et ça m’arrange), je suis enthousiasmé par ce vin. Évidemment, pas le meilleur que j’ai jamais bu de ma vie mais juste celui que j’espérais au moment où je le souhaitais ! Une robe encore sombre qui indique que le vin n’évolue que lentement. Le nez montre de la densité, de la puissance. En bouche, les arômes de fruits noirs sont confirmés, les tanins fondus accompagnent en douceur une matière fine mais structurée. Et pas de sécheresse, pas de boisé intempestif. Au contraire, une légère sucrosité qui en fait une véritable gourmandise, grâce aussi à une complexité qui révèle le grand vin. Sa longueur se fait sentir longtemps…

En fait, c’est l’archétype d’un grand bordeaux dont on a attendu (pour une fois) la maturité !
D’un vin de concours qui inspire toujours un certain doute, il a acquis dans mon verre le statut de splendide vin de gastronomie. Ni un vin de bord de piscine ni une bouteille de dîner de chasse : juste le compagnon idéal d’une belle viande rouge.