Une Saint-Sylvestre cauchemardée !
Si le talon du stiletto de Madame ne s’était pas cassé dans l’escalier, l’obligeant à le descendre sur les fesses, elle aurait réussi le camaïeu parfait avec sa robe fushia et vert pomme achetée exprès pour l’occasion. Au lieu de ça, elle a dû se changer précipitamment et remettre celle de l’année dernière qui la boudine un petit peu.
Dans la voiture, Monsieur est à deux doigts (exactement) de déboutonner le col de sa chemise et klaxonne depuis bientôt une dizaine de minutes pour l’inciter à presser un peu le mouvement, histoire d’arriver chez leurs amis avant l’année suivante ! Il fait un froid polaire, la route est déjà verglacée et ils habitent dans un bled improbable, loin, trop loin, de tout et de tout le monde. Rien que l’évocation de la route du retour est déjà un cauchemar !
« Ah bah vous êtes les premiers ! » Évidemment… à 20 h ! Les autres invités arrivent tous en même temps… à 22 h ! Vous êtes limite ivre mort à cause de la sangria dont vous n’avez laissé que quelques fruits au fond de la vasque, l’estomac gonflé par les Tuc® généreusement mis à votre disposition afin que vous ne détruisiez pas l’ordonnancement du buffet et ne vidiez pas les pains surprises de leurs substances. Bien vu ! Résultat : le temps des présentations et des embrassades passé, les plus rapides (pas vous) ont pillé les verrines, renversé le bol de guacamole, piétiné les chips et attaqué avec une violence inouïe la terrine de chevreuil !
Chouette ! On passe à table ! Les plaisanteries habituelles fusent : « Comment se met-on ? », « Oh ! On va peut-être dîner avant, non ? ». Le temps de hausser les yeux au ciel, tout le monde est assis. Il vous reste un tabouret devant un guéridon branlant ajouté à la hâte après l’arrivée inopinée d’un prétentieux qui fait déjà le beau, entouré de toutes et tous.
On apporte les huîtres : creuses, n° 5, c’est-à-dire des coquilles quasiment vides ! Alors, vous vous tartinez du pain de seigle, en attendant ! Ah ? Qui a fini le muscadet ? Bon ! Voyons la suite. Le foie gras semble avoir beaucoup plu, en début de tablée ! Mais à votre goût, l’entame est un peu sèche ! Pas de sauternes ? Bah non ! Alors vous froncez les sourcils et dites à la cantonade qu’il serait plus équitable de poser les plats devant vous de temps en temps…!
Trop tard pour les gigots qui commencent leur long cheminement à l’autre bout de la table. Le comique surnuméraire raconte une histoire prétendûment drôle, sa fourchette suspendue au-dessus du plat, alors que vous attendez la langue pendante mais l’irritation montante ! Il a déjà bouffé les deux souris qu’il s’était octroyées d’office quand parviennent devant vous les os presque décharnés, sanguinolents et froids… Heureusement qu’il reste quelques haricots verts !
Vous avez été enfin entendu : on vous propose d’entamer les croûtes intactes du plateau de fromages ! Rien qu’à vous !
Comment ça plus de pain ?
L’omelette norvégienne flambée crame sur son passage une mèche de cheveux de Madame qui se met à couiner. La permanente ne mérite plus son nom ! Le dessert a commencé à fondre, Madame aussi pour le bellâtre italianisant qui lui roucoule des couplets d’Éros Ramazotti en la regardant dans les yeux depuis au moins trois coupes de crémant !
Avant même les cafés, certaines se lèvent et décrètent que c’est l’heure de danser ! Ce serait un plaisir de les voir ainsi « se frotter aux réalités de la vie » si la vôtre n’était pas littéralement enroulée autour du pseudo-napolitain. Pendant ce temps-là, vous tentez de tenir à bout de bras la belle-mère de votre ami qui vous a arraché à votre siège et se fait ouvertement espiègle, voire gourmande… sur des rythmes qui vous évoquent plus un documentaire sur les Bantous du Sud-Kenya que le haut du top 50 !
Vous vous croyez sauvé par le gong : il est minuit ! Après vous être étranglé avec vos 12 grains de raisin sans que personne ne s’inquiète de vous voir écarlate, suffoquant, avec des larmes plein les yeux, une litanie de convives plus ou moins bien intentionnés vient en file indienne vous baver sur les joues dans le meilleur des cas, ou bien carrément vous introduire une langue de veau jusqu’aux amygdales comme le fait la vieille vorace de tout à l’heure ! Mais que faisait la main du rital négligemment posée sur le sein de Gisèle pendant que, de toute évidence, il lui souhaitait avec l’autre, une très, très bonne année ? « Oui, vous aussi, beaux nénés ! Ah ah ah ! ».
Les mélodies multiculturelles ayant démontré les limites de votre enthousiasme pour la chose dansée, vous vous mettez d’accord, après moultes négociations, pour programmer une retraite discrète. Insensible aux jérémiades du crooner de pizzeria, vous arrachez, dans l’ordre, votre camarade de jeux, vos manteaux, écharpes, bonnets, moufles, et demandez à l’assemblée indifférente qu’on veuille bien déplacer l’Alfa Romeo rouge qui bloque votre véhicule de fonction. Évidemment, c’est le brillantiné énamouré qui s’était garé devant vous, senza vergogna !
Le retour se fait au jugé à cause de la neige et du sommeil qui se sont abattus sur vous en même temps. Un sandwich rillettes-cornichons et une bière plus tard, vous vous couchez, soupirant l’un et l’autre, mais pour des raisons sans doute différentes…
Patrick de Mari
Michel Poymiro
30 décembre 2013 @ 7 h 48 min
Mon cœur balance entre le bien-vu et le vécu !
Un p’tit goût de revenez-y ! |
31 décembre 2014 @ 7 h 03 min
[…] http://gretagarbure.com/2013/12/30/saynetes-4/ […]