Nos tyrans sont déjà dans la place !
Au risque d’être accusé de prendre le train en marche, je voudrais ajouter ma voix (ma voie ?) au concert de protestations contre les baltringues qui prennent celui de me priver de mes sauternes chéris.
Les cultures millénaires sont des obstacles à l’avènement de « l’homme nouveau ». Vous savez, celui qui ne s’exprime que par son bulletin de vote une fois de temps en temps, sur un programme de promesses illusoires « qui n’engagent que ceux qui y croient », ont dit à peu près tous les hommes politiques de nos chères (très chères) démocraties. Quand ils sentent (parce qu’un institut de sondage leur donne à croire) qu’il n’y aura pas trop de résistance du côté du bon peuple, alors nos bâtisseurs de cathédrales en carton, nos conquérants de jardinets de banlieue, nos élites niveleuses de pensées, réductrices de têtes qui dépassent, tels des modernes jivaros, sont prêts à se muer en daesh de bazar.
Aïe, là, ça couine un peu dans les chaumières ! Comparer l’État français et le pseudo état islamique, rien que ça ! Comme disait le beau-frère à Lénine : « On a beau être de gauche, faut quand même pas pousser ! ».
Eh bien si, justement ! Il faut pousser la comparaison même si elle semble injuste et surtout exagérée. Car vivre sans culture ne fait pas peur à nos décideurs de l’ombre. C’est même un objectif, certes caché mais évident, voire une ambition communément partagée par nos chers (très chers) énarques, émules de George Orwell et de Aldous Huxley.
Ceux qu’on appelle serviteurs de l’État, petits ou grands, l’asservissent parfois plus qu’ils ne le servent. Le nazisme allemand, le fascisme italien, le communisme soviétique ont été de fantastiques machines à transformer le citoyen en chair à canon, en patriotes extatiques, idolâtres de leurs sauveurs qui leur promettaient des lendemains enchantés.
Or, quelques centaines de millions de morts plus tard, les mobiles de nos dirigeants (non, pas leurs portables !) n’ont pas tellement varié, leurs desseins diaboliques se sont affirmés, sans honte ni remords : le Meilleur des Mondes est en marche alors, s’il vous plaît, une deux, une, deux, silence dans les rangs, nous allons faire votre bonheur, que vous le vouliez ou non !
Vous voulez un exemple léger, futile, presque dérisoire pour certains de ce pouvoir bureaucratique exorbitant et tellement éloigné de la culture, de l’art, de la beauté, du bien-être ?
« On » nous explique que la France, c’est une production de près de 5 milliards de litres de vins par an. Donc, la disparition du sauternes à cause de la LGV qui massacrerait son environnement, c’est-à-dire son existence, ça ne pèse rien. 50 000 hectolitres de lumière, d’or pur, de nectar des dieux, c’est comptablement peanuts. Alors, tu t’écrases coco, tu ranges tes boudoirs et tu montes dans le train du progrès ! Comme tout le monde.
Il y a tant d’arguments à opposer à nos génocideurs en flanelle grise qu’ils préfèrent se boucher les yeux et les oreilles. Après avoir créé des commissions d’experts (des comités Théodule comme les nommait le Général de Gaulle en son temps), reçu les conclusions de rapports qu’ils avaient commandés, nos très, très hauts fonctionnaires décident le contraire de toutes leurs recommandations et conclusions.
Il devient tellement urgent de gagner quelques minutes pour se rendre à Dax : le bain de boue n’attend pas ! Nos chers (très chers) curistes vont nager 60 ou 120 secondes de plus dans la béatitude et les eaux chaudes revitalisantes. Les guérisons seront sans aucun doute plus fréquentes et spectaculaires qu’à Lourdes ! Décidément, l’Ena fait des miracles ! Et puis les Toulousains pourront toujours tremper leurs madeleines dans un gaillac de rêve (cuvée Renaissance de chez Rotier) en pensant, ravis, forcément ravis, qu’il leur reste dorénavant 5 minutes de plus à vivre heureux avant de prendre leur train pour Paris.
Évidemment, nous trouverons encore notre plaisir dans de belles bouteilles de vins doux, moelleux, liquoreux, vendanges tardives, sélections de grains nobles, vins de paille, passerillés sur pieds ou sur claies, muscats du Languedoc, du Roussillon et du Rhône, chenins de Loire, pacherencs et jurançons du Sud-Ouest, sans oublier les proches voisins du futur défunt : cadillac, monbazillac, cérons, sainte-croix-du-mont qui résisteront peut-être à l’assassinat programmé des sauternes et barsacs.
Nous sommes en train (c’est le cas de le dire !) d’assister, démunis, désarmés, à la remise en cause de notre Société. Celle dont on se contentait, il n’y a pas si longtemps. Celle qui n’avait pas pris le temps comme étalon unique du calcul de la valeur de nos vies. Un temps qui nous permettait d’aller bon train ou à un train de sénateur, quand le train des réformes allait cahin-caha et que l’on n’était pas obligé d’aller à fond de train… dans le mur !
Alors, refusons ces Trains à Grande Violence qui menacent les rythmes de nos natures déjà martyrisées.
Et tu es gentil, toi le rond de cuir, tu ne touches pas à nos vignes !
Patrick de Mari