Les Véritables Quenelles
POUR LA CRÉATION
D’UN FRONT DE LIBÉRATION
DES QUENELLES : LES VRAIES !!!
Y EN A MARRE !
Marre que des mots de la langue française soient pris en otages par des gens qui veulent faire passer des idées (quelles qu’elles soient), voire des messages (quels qu’ils soient), mais qui n’ont pas les bons mots pour ça !
Pour vous donner un exemple, depuis mon adolescence (et malgré une tendance à la rébellion qui aurait pu m’attirer vers le rouge comme le taureau vers la muleta), je n’ai jamais supporté qu’un parti politique que je ne nommerai point ait confisqué le mot « travailleurs »… comme s’il n’y avait que les ouvriers qui travaillaient !
NON ! Depuis toujours, j’ai la passion des mots et j’en suis trop respectueuse pour accepter qu’ils soient employés à tort et à travers et galvaudés, en politique comme en cuisine.
D’où mon implication dans nos rubriques « Les mots des mets (la saveur cachée des mots) » et « Appellations culinaires ».
En effet les mots cachent souvent des trésors — et des réponses — que l’étymologie nous révèle avec subtilité.
Pour ce qui est de la politique, je ne tiens nullement à commenter la vague nauséabonde qui déferle en ce moment dans les médias et sur le net à propos de ce geste ignominieux qu’on appelle malencontreusement « la quenelle ».
Je ne tiens pas non plus à participer à la curée contre un humoriste (ou pas) dont je tairai (aussi) le nom car on lui fait assez de publicité comme ça.
Pour le défendre, certains comparent son « humour » à celui du grinçant Coluche ou à celui de l’iconoclaste Desproges.
Je dirais seulement aux oublieux que de son vivant, Coluche était loin d’être adulé comme il l’est à titre posthume et que, si Desproges est mieux accepté car crédité d’une intelligence fine et caustique, il était parfois tout aussi dérangeant.
J’ajouterais aussi — ce qu’ont peut aisément vérifier sur un réseau social comme Facebook — que beaucoup de mots qui ont un sens précis sont utilisés de manière totalement dénaturée, consciemment ou non.
Je ne prétends faire la leçon à personne mais des vocables comme « racisme », « Juifs » (avec majuscule) ou « juifs » (avec minuscule) sont ainsi tous les jours usités avec des sens déviants, voire à contresens. C’est souvent par ignorance — d’où l’intérêt de l’étymologie — ou, plus pernicieusement, à des fins manipulatrices.
Il faut donc être extrémement vigilant et faire attention aux mots que l’on emploie, sans les dévoyer, sous peine d’amalgame, de dialogue de sourds et de dérapages.
Et les quenelles dans tout ça ?
Mais revenons-en aux quenelles !
Depuis quelque temps le mot « quenelle » a donc pris le sens méphitique d’un geste que certains qualifient de néo-nazi alors que d’autres n’y voient qu’un faux bras d’honneur inversé.
L’assimilation du mot « quenelle » viendrait du fait que c’est un plat à la consistance molle et fadasse, ce qui renverrait à ceux à qui on la destine l’image d’une faiblesse intrinsèque, d’une vacuité abyssale, d’une vulnérabilité avérée. Une appréciation très relative qui prouve en tout cas qu’on n’a affaire ni à des gastronomes ni à des épicuriens mais à des ignorants qui n’ont sans doute jamais dégusté de vraies quenelles, mais seulement leurs ersatz en boîte, façon cantine !
Cette construction méprisante est censée apporter le discrédit et se veut différente du doigt d’honneur, vision plus sexualisée de la problématique.
Au passage, on soulignera la contradiction qu’il y a à avoir choisi un plat de consistance molle pour signifier « je te la mets bien profond jusqu’au coude et même jusqu’à l’épaule » !
Quoi qu’il en soit, cette appropriation est aussi horripilante que scandaleuse et cette confiscation du terme culinaire parfaitement inadmissible !
La quenelle est en effet un produit historique qui fait partie du patrimoine gastronomique français, donc de notre patrimoine culturel.
À l’origine, c’est une préparation inventée pour cuisiner des ingrédients fragiles (poissons des étangs de la Dombes comme le brochet, moelle, foie) afin de pouvoir les conserver plus longtemps et de les faire voyager plus facilement que sous leur forme naturelle. Puis la recette a évolué et s’est enrichie jusqu’à ce qu’un charcutier lyonnais ait l’idée de les mouler à l’aide de deux cuillères, ce qui leur donne leur forme bien connue, pointue aux deux bouts. Les « quenelles à la lyonnaise » étaient nées et devinrent le monopole des charcutiers-traiteurs.
Mais si vous voulez les faire vous-même, courez voir notre recette :
http://gretagarbure.com/?s=Savoir-faire+ses+quenelles
Heureusement, il y a presque toujours un effet comique, voire un effet boomerang à l’inculture, fut-elle gastronomique !
Car étymologiquement, le mot « QUENELLE » dérive de l’allemand « knödel » et signifie… BOULETTE !
Et avouez que pour en être une (de boulette)… c’en est une belle !
En effet, les « knödel » sont originellement un plat de cuisine pauvre — des boulettes de pâte — des pays alémaniques : Autriche et Allemagne du Sud (Bavière).
On retrouve cette étymologie dans plusieurs pays :
— en Suisse alémanique : knöple ou knöpli (avec le sens affiné de petit bouton à cause de la petite taille desdites boulettes) ;
— en République tchèque : knedliky ;
— en Italie germanophone (Trentin-Haut-Adige ) : canederli ;
— dans le reste de l’Italie : gnocchi, (avec les sens de boulette, quenelle, bosse, protubérance, tas) ;
— en France (Alsace) : knepfle (pâtes ni laminées ni filées).
S’apparentent aussi à ces boulettes les spätzle (moineaux en souabe) et les halusky (quenelles de pomme de terre au fromage) en Pologne et en Slovaquie dont les noms se sont éloignés de celui de boulettes car leur aspect évoque plus précisément autre chose.
Vous l’aurez compris, à base de panade à la farine ou à la semoule (intégrant parfois de la pomme de terre), les quenelles et assimilées sont des boulettes de pâte aux formes plus ou moins structurées (déchiquetées, façonnées, roulées, moulées) comme les faisaient déjà nos aïeules.
Et cette filiation est un héritage qui fait partie de notre culture, faite de brassages depuis la nuit des temps !
Aussi, pour réhabiliter cette belle spécialité française que sont les quenelles, et plus particulièrement les quenelles à la lyonnaise, je propose la création d’un :
« FRONT DE LIBÉRATION DES QUENELLES » !
Bon, je m’arrête sinon ça va partir en QUEN…ouille !!!
(dont la forme ressemble d’ailleurs à celle d’une quenelle…)
Darya
6 janvier 2014 @ 8 h 34 min
Je n’étais pas au courant que le terme quenelle avait pris un sens nouveau, mais j’apprécie énormément votre démarche de remettre les mots à leur place, et les quenelles méritent mieux que d’être réduites à un simple geste. Merci pour l’exposé étymologique, j’avais déjà croisé le terme canederli (l’Italie du Nord ne serait-elle pas plutôt germanophone que germanophobe ?) et n’avais pas établi le lien avec les quenelles. J’aime beaucoup cette rubrique où j’apprends tant !
Paule
6 janvier 2014 @ 8 h 47 min
Je participe au Front de libération des quenelles ! Merci pour ce papier remarquablement documenté.
Paule
Nadege
6 janvier 2014 @ 9 h 38 min
Hahaha, c’est drôle Blandine, tu as écrit « en Italie germanophobe » au lieu de « germanophone »… Visiblement, cette histoire te travaille 🙂
gretagarbure
6 janvier 2014 @ 15 h 58 min
Bien sûr Darya ! Simple faute de frappe. C’est corrigé.
gretagarbure
6 janvier 2014 @ 16 h 00 min
Tous les lapsus ne sont pas révélateurs Nadège !
Simple faute de frappe. Le b et le n sont deux touches voisines !
Nadege
6 janvier 2014 @ 18 h 36 min
Rhoooo, ça va hein, si j’ai même pu l’droit d’taquiner… pffff :/