Les « philosophies » de la gastronomie !
Il y a quelque temps de ça, je me suis aperçue qu’un restaurateur faisant partie de mes « amis » facebookiens m’avait virée de ce qu’il serait plus juste d’appeler ses contacts. Quoique…
Parce que le chef en question (1 étoile au compteur), je le connais dans la vraie vie. Nous avons même voyagé ensemble — qui plus est à l’étranger — en certaines occasions, dans une très bonne ambiance et, osons l’avouer, à une petite bande de quatre ou cinq, nous nous sommes bien amusés… et même jusqu’à fort tard dans la nuit.
Quelle ne fut pas ma surprise donc, d’avoir été ainsi éjectée sans préavis ni autre forme de procès. Sans même être prévenue.
Tout de même, pour être sûre qu’il ne s’agissait pas d’une erreur de manipulation ni d’un caprice de ce facétieux Facebook, je lui ai posé la question en MP (messagerie privée) :
— « Tu m’as virée ? »
Et la réponse est tombée, cinglante :
— « Le post au sujet du restaurant XXX. »
Je n’ai pas plus compris que s’il m’avait répondu en chinois ou en caractères cyrilliques.
J’ai donc envoyé une série de points d’interrogation pour tenter d’obtenir des éclaircissements :
— « ????? »
Et, d’une manière pour le moins laconique, il m’a fait ce retour :
— « Le restaurant XXX ! Nous n’avons pas la même philosophie, chacun son point de vue ! »
Avec les sous-titres, ça donne : vous en avez parlé en bien sur Greta Garbure et moi, je n’aime pas du tout ce concept, cette façon de voir les choses. et puisque toi, tu as été enthousiaste, alors impossible qu’on reste ami !
J’en suis tombée sur le cul. Heureusement, mon fessier est généreux, ça a amorti le choc !
Mais par-delà la déception personnelle, cela a suscité chez moi une réflexion professionnelle qu’il me paraît intéressant de vous livrer. En tant que journaliste.
Nous nous étions d’ailleurs déjà exprimé sur le sujet au lancement de notre magazine, dans une chronique qui explicitait notre manière d’appréhender la chronique gastronomique : http://gretagarbure.com/2012/11/16/la-chronique-de-greta-garbure-2/
Pourrions-nous être crédibles si notre rôle se bornait à ne chroniquer — et à n’encenser ! — qu’un seul type de restaurants ?
Ce qui serait malhonnête de faire — me semble-t-il —, c’est de ne pas être objectif et de ne visiter qu’une catégorie particulière d’établissements. Car nous n’avons pas qu’une seule catégorie de lecteurs.
Et puis, aller au resto, c’est une question de circonstances. Raison pour laquelle nous avons également déjà publié un billet d’humeur intitulé : « Arrêtez de me demander quel est le meilleur restaurant de Paris ! » : http://gretagarbure.com/2014/10/06/ptit-billet-dhumeur-76/. Parce que ça dépend de nombreux paramètres qui changent la donne : avec qui vous voulez y aller, pourquoi (repas d’affaires, tête-à-tête, fête de famille, dîner de copains, etc.), quel budget vous voulez mettre, quelle sorte de cuisine vous voulez manger, en quelle saison, pour déjeuner ou pour dîner, etc. Nous n’avons pas tous les mêmes palais ni les mêmes attentes et c’est bien pour ça que nous argumentons nos chroniques au maximum sur Greta Garbure.
C’est aussi une question d’humeur : s’il n’est un secret pour personne que j’adore les cochonnailles, je n’en ai pas forcément la lubie tous les jours, à tous les repas ! Je peux — aussi — ressentir un besoin de légèreté, de cuisine méditerranéenne ou nordique, voire exotique, préférer un homard en salade à une choucroute, des mets raffinés à une farandole de tapas. Et l’on ne peut évidemment préconiser les mêmes lieux selon ces desiderata variés.
Notre devoir — oui, notre devoir ! — est donc d’aller dans des lieux divers susceptibles de contenter tous les appétits, tous les désirs, toutes les bourses ! Et au-dessus de tout, je place évidemment : l’envie d’avoir envie !
Et nous ne voyons absolument pas au nom de quoi il ne faudrait nous cantonner qu’aux étoilés ou à un style de cuisine « tendance » s’adressant prioritairement aux foodistas et aux accros d’émissions culinaires télévisées.
Rappelons que le mot « gastronomie » est un mot souvent dévoyé. Car, littéralement, comme nous l’expliquions ici : http://gretagarbure.com/2013/09/16/la-chronique-de-greta-garbure-26/, la gastronomie, c’est l’art du bien manger et non le fait de manger des produits de luxe. Bien au contraire puisque étymologiquement, il signifie tout bonnement « les lois, les règles de l’estomac »… c’est-à-dire comment bien contenter cet organe, ce que Brillat-Savarin appelait plus joliment « l’art de la bonne chère ». La cuisine proposée dans les étoilés n’étant qu’une des facettes de la gastronomie stricto sensu, le mot gatronomie ayant supplanté peu à peu — mais à tort ! — la locution « haute cuisine française ». Or, le plus important n’est pas d’avoir un pouvoir d’achat qui permette de s’offrir des 3 étoiles et de manger du caviar tous les jours, mais de perpétuer ou d’instaurer des rituels personnels en fonction de sa propre histoire.
Eh oui, il nous arrive de ne pas apprécier la cuisine trop chichiteuse d’un chef étoilé et, a contrario, de trouver un bistrot de quartier épatant. Il n’y a rien de paradoxal, c’est juste que nous pratiquons l’éclectisme et que nos papilles savent s’émouvoir de goûts non standardisés par le grégarisme de la mode. Il nous est arrivé de ressentir de formidables émotions dans des « 3 macarons » mais également dans de petits restaurants non recensés par l’intelligentsia de la gastronomie, dans des auberges de campagne, dans des bouchons lyonnais et même dans des cabanes à huîtres, là où tout n’était que vérité des produits et sincérité de la cuisine. Là aussi où le rapport qualité/prix était cohérent.
Car sur Greta Garbure, le goût restera toujours notre motivation première. Le goût des bonnes choses, des bons produits, du travail bien fait, techniquement mais aussi avec passion.
Et nous sommes libres de penser — et d’écrire — que la haute cuisine est parfois ennuyeuse à force de stéréotypes et de « copiés-collés » : je pense particulièrement aux écumes, espumas et autres siphonnages en tout genre qui ont fait florès, ou encore à cet engouement pour le burger de luxe revisité façon « faut que ça en jette » et qui est en passe de détrôner le pourtant très fonctionnel « club sandwich » dans ce registre finger food.
Et tant pis si cette philosophie — pour reprendre le terme cher à cet ami d’opérette sectaire — plutôt altruiste et bienveillante envers les « genres » différents déplaît à certains dont ladite « philosophie » est plus étriquée.
Rappelons que le mot philosophie signifie littéralement « aimer la sagesse » !
Même — et surtout — quand elle est populaire. Le bon sens, quoi !!!