Le tour de France de nos soupes de poissons côtières !
D’une manière générale, les soupes de poissons sont issues de ce que j’ai coutume d’appeler la « cuisine pauvre ».
C’est-à-dire que, très souvent, ces soupes devenues régionales étaient faites à l’origine par les femmes de pêcheurs avec les invendus. Donc, plutôt avec des espèces peu chères — car très communes —, du fretin, des petits crustacés, etc.
Après, selon le littoral où l’on se trouve, on rajoute des ingrédients du cru ou des épices pour les parfumer.
Et pour changer parfois, quand il s’agit de poissons qui contiennent beaucoup d’arêtes, on les mouline et l’on obtient une délicieuse soupe passée, que l’on épice ou non et, que l’on accompagne assez fréquemment de petits croûtons parce que ça les enrichit et leur donne du corps… mais aussi parce que c’est bon !
Rappelons encore qu’étymologiquement, la plupart de ces soupes doivent leur nom, soit au récipient où elle cuisent — ainsi chaudron a donné chaudrée mais aussi cotriade et caudière, et marmite a induit marmite dieppoise), soit à leur mode de cuisson (bouillabaisse, bourride, boullinade).
Il va sans dire que la plupart de ces soupes sont des soupes plats-uniques.
Faisons ce petit tour dans le sens des aiguilles d’une montre, en partant de la côte basque et en terminant par le golfe du Lion.
Front de l’Atlantique
Ttoro basque
Prononcez « tioro » ! C’est la soupe des pêcheurs de Ciboure, à côté de Saint-Jean-de-Luz. Autrefois on la préparait avec l’eau de cuisson de la morue enrichie de poissons invendus, d’aromates et de pommes de terre crues râpées pour lui donner de la consistance.
Au fil du temps, la recette a évolué et s’est codifiée jusqu’à devenir institutionnelle, l’important étant de préparer les différents éléments séparément, puis de les réunir ensuite, et non de tout faire cuire dans la même eau dès le départ.
C’est donc un plat pauvre qui est devenu un plat riche.
Elle se compose aujourd’hui de têtes et de petits poissons « sacrifiés » pour le fumet, de poissons divers (queue de lotte, merlu, congre, grondins, vives), de moules et de langoustines, de pommes de terre.
Le fonds est tomaté, safrané et pimenté.
C’est même ce côté pimenté qui lui aurait donné son nom car lorsqu’on avale la première cuillerée, le piment démontre aussitôt sa force, comme le « toro » lâché dans l’arène !
Chaudrée charentaise
La chaudrée comporte de nombreuses variantes, car elle dépend essentiellement des poissons qui ont été pêchés… et surtout de ceux qui n’ont pas été vendus.
Une seule règle commune à toutes les recettes : associer au moins poissons plats (soles, plies, céteaux), raiteaux (petites raies) et seiches.
Très estimée, la chaudrée fourasine (de Fouras), comporte également des pommes de terre.
Cotriade bretonne
La cotriade est la soupe de poissons bretonne par excellence. Étant donné le longueur exceptionnelle du littoral breton, la basse Bretagne s’enorgueillit de nombreuses recettes, surtout sur la côte sud.
Plus qu’une soupe familiale, c’était à l’origine la soupe que les pêcheurs se préparaient à bord des bateaux de pêche.
Elle était donc essentiellement fonction des lieux de pêche, des saisons, des conditions météorologiques… et du cuisinier du bord ! Y figurait presque toujours du congre.
Elle doit son nom au « kaoter » ou chaudron dans laquelle cette kaoteriad était préparée. Chaque membre d’équipage venait puiser du bouillon dans ce chaudron et le verser dans son bol, sur de fines tranches de pain. Après avoir terminé sa soupe, on mangeait les pommes de terre et le poisson, arrosé d’un filet de vinaigre, souvent fortement poivré, ou d’un condiment vinaigré. Cela vient de ce qu’à bord des chalutiers, la soupe était préparée à l’eau de mer.
Pour la même raison, on parfumait volontiers le bouillon de cuisson avec toutes sortes d’herbes : sarriette, marjolaine, pimprenelle, estragon, cerfeuil, menthe poivrée, voire poignée d’oseille ciselée. Tout cela pour estomper la vigueur du sel… et juguler la soif.
Aujourd’hui, la cotriade a gagné ses lettres de noblesse, et certaines recettes sont devenues classiques, comme la cotriade de Brigneau, petit port de Cornouaille.
À Belle-Île, on remplace le saindoux par du beurre, on ajoute beaucoup de légumes (carottes, navets, tomates), et surtout des coquillages (moules, palourdes) et des petits crustacés (crevettes, étrilles, langoustines, et même petits homards ou langoustes). Quelquefois, au contraire, la cotriade n’est préparée qu’avec une seule sorte de poisson : merlan par exemple, ou maquereau comme à Douarnenez.
Manche
Marmite dieppoise
Contrairement à beaucoup de soupes dites de « pêcheurs », celle-ci est une soupe de poissons « nobles ».
L’explication en est simple : Dieppe est le port le plus proche de Paris, raison pour laquelle les espèces ciblées par les pêcheurs sont plutôt des poissons haut de gamme, poissons de ligne ou de canot, pêchés la nuit pour être écoulés au petit matin vers la capitale.
C’est aussi une soupe faite pour être vendue sur place, sous forme de spécialité locale aux Parisiens qui viennent voir la mer la plus proche le week-end.
La lotte, le turbot et la barbue composent traditionnellement la marmite dieppoise (mais une belle sole peut remplacer l’une des trois espèces).
Enfin, terroir oblige, cette soupe est liée à la crème fraîche !
Mer du Nord
Caudière du Nord
La composition de cette soupe qu’on appelle aussi caudrée, préparée de Dunquerke à Berck, varie en fonction des ressources de la pêche, mais la base reste la même.
Elle comporte généralement des solettes, des turbotins, des grondins, du congre et des pommes de terre.
Elle aussi est crémée.
Méditerranée
Bouillabaisse de Marseille et sa rouille
La bouillabaisse tire son nom du fait qu’elle bouille et s’abaisse alternativement : bouille et abaisse.
La vraie bouillabaisse se prépare obligatoirement avec deux sortes de poissons : ceux qui vont servir à préparer le “fond”, et ceux qui vont constituer la garniture, dont impérativement des poissons de roche que l’on pêche dans les calanques provençales entre Marseille et Toulon, en passant par Martigues. Étant difficiles à trouver, les cigales peuvent être remplacées par des favouilles (sorte d’étrilles)… mais sûrement pas par de la langouste, dont l’ajout est hérétique !
Et bien sûr, il ne saurait y avoir de bouillabaisse sans rouille, cette sauce typique qui l’accompagne et la sublime… et dans laquelle on remplace aujourd’hui souvent le piment par de la harissa, ou que l’on parfume parfois au safran.
Autrefois on faisait cuire un pain spécial, la ”navette à soupe” pour accompagner la bouillabaisse.
Certaines provençales ajoutent encore un petit morceau de zeste d’orange séché au fond de cuisson, tandis que d’autres lui préfèrent une petite branche de fenouil.
Bourride sétoise et son aïoli
Bourride est issu du mot « bourrit » qui signifie « bouilli ». Pourtant, curieusement, le changement du « LL » en » RR » est l’apanage du gascon et non de la région méditerranéenne.
Si, en Provence, la bourride peut se préparer avec différents poissons blancs, à Sète, elle se prépare impérativement avec de la lotte, autrement dit de la baudroie dépouillée (ou queue de lotte).
Autrefois, on avait coutume d’ajouter un foie de baudroie pilé dans la liaison finale, et aujourd’hui encore, les vrais amateurs ne sauraient s’en passer !
Boullinade catalane (bullinada)
C’est une soupe à base des poissons de la pêche du jour et de pommes de terre, mais parfois faite aussi avec une seule variété de poissons, surtout anguilles ou anchois.
Elle est typique des villages voisins des étangs, notamment du Barcarès.
Son goût particulier est dû à la présence de sagi (lard rance).
Le nom boullinade — bullinada en catalan — induit le mode de cuisson… à gros bouillons !
Il est d’usage de présenter la boullinade dans le «tupi » qui a servi à sa cuisson, en lui épargnant le ridicule de la soupière !
Je vous donnerai le détail de quelques-unes de ces recettes au fil de l’été, dans notre rubrique « Plats mythiques » !
Claudie Salvy
20 juin 2014 @ 7 h 25 min
Attention a ne pas se tromper de cigale….Qui sait encore ce qu’est une cigale de mer ? Merci pour vos articles , je les aime beaucoup.
tiuscha
20 juin 2014 @ 7 h 47 min
Je mets écorce d’orange et fenouil et/ou graines de fenouil dans la bouillabaisse (et mes soupes de poisson en général).
Il n’y a plus qu’à goûter la bullinada de Gilles Goujon, revisitée certes mais saveurs sublimes ! POur le ttoro, ce sera cet été, bientôt…
latitemoi
20 juin 2014 @ 8 h 08 min
J’adore tout ce qui vient de la mer, poissons, coquillages, fruits de mer… Et les soupes de poissons comme celles présentées, ‘d’origine’.
Serai ravie d’avoir une tournée de façon de faire pour les autres nommés ci dessus.
Merci pour la présentation.
Plats mythiques | The fisheye of gourmet food &...
22 juin 2014 @ 17 h 01 min
[…] Le tour de France de nos soupes de poissons côtières ! D'une manière générale, les soupes de poissons sont issues de ce que j'ai coutume d'appeler la « cuisine pauvre ». C'est-à-dire que, très souv… […]
Plats mythiques |
27 juin 2014 @ 6 h 01 min
[…] Et pour connaître presque toutes les soupes de poissons de nos littorals, c’est là : http://gretagarbure.com/2014/06/20/plats-mythiques-22/ […]
Plats mythiques |
18 juillet 2014 @ 6 h 01 min
[…] d’autres recettes de soupes côtières, toutes régions confondues, c’est ici : http://gretagarbure.com/2014/06/20/plats-mythiques-22/ […]
Plats mythiques |
25 juillet 2014 @ 6 h 01 min
[…] Et pour d’autres soupes de poissons, c’est là : http://gretagarbure.com/2014/06/20/plats-mythiques-22/ […]