Le Roman de la Morue – Deuxième Partie
Les autres variétés de cabillauds
ayant droit à l’appellation morue
« C’est en 1930 que Johs. Schmidt distingua quatre races de morues, d’après le nombre de leurs vertèbres et en comptant aussi les rayons d’une nageoire dorsale. Il a ainsi caractérisé une race américaine, qui vit autour de Terre-Neuve et dans les eaux du Labrador ; une race arctique, au domaine extrêmement étendu, qui domine sur les bancs de Terre-Neuve, dans les mers du Groenland et d’Islande, le long des côtes de Norvège et en Baltique ; une race de la Mer du Nord qui se retrouve jusqu’en Manche orientale ; une race atlantique, enfin, assez restreinte, qui peuple le plateau continental à l’ouest des îles britanniques. Ce sont des morues qui se sont aventurées le plus loin vers les eaux chaudes, puisqu’elles vivent dans celles qui avoisinent 9° C. Ce sont elles qui constituent « la morue fraîche » vendue sur nos marchés, en hiver et au début du printemps, car les premières transgressions des eaux chaudes les refoulent rapidement vers le Nord. »
Roger Vercel, Pêcheurs des quatre mers, 1957
Outre le cabillaud de l’Atlantique (gadus morhua), d’autres cabillauds sont également pêchés en vue d’être salés ou salés et séchés, et peuvent ensuite être commercialisés sous l’appellation de MORUE. Ce sont :
• La morue de la Baltique (gadus morhua callarias, Linné, 1758)
C’est une variété de gadus morhua qui s’est adaptée aux eaux de la Baltique (dépendance de l’Atlantique) et du golfe de Botnie (extrêmité septentrionale de la Baltique, entre la Suède et la Finlande), où on la trouve aussi. Elle a un goût très fin. On l’appelle parfois de son nom allemand “dorsch”.
• La morue de la Mer Blanche (gadus morhua maris-albi, Derjugin, 1920)
Là encore, il s’agit de la morue commune, mais qui a évolué en changeant de biotope, à savoir la mer Blanche (mer formée par l’océan Arctique, au nord de la Russie). Elle a pratiquement les mêmes caractéristiques que la morue ogac.
• La morue ogac, dite morue du Groenland (morhua ogac, Richardson, 1836)
C’est une variété à la peau jaspée que l’on trouve dans l’Atlantique, dans l’océan Arctique, du nord de l’Alaska jusqu’au Groenland (côté ouest des fjords groenlandais). Elle vit plutôt près des côtes, à une profondeur d’environ 200 m, dans des eaux très froides. Elle vit rarement au-delà de onze ans et ne dépasse jamais 70 cm de long. Le phoque est son principal prédateur.
Elle a des écailles et une chair plus ferme qui devient aussi plus jaune que la morue de l’Atlantique une fois séchée. Les petits spécimens étant très minces avec une teinte jaune avérée, on les surnomme parfois “papier à cigarettes” en jargon professionnel.
• La morue du Pacifique Nord, dite morue d’Alaska (gadus macrocephalus, Tilesio, 1810)
C’est une variété à peau grise, mouchetée, tirant presque sur le roussâtre que l’on trouve au large de la plate-forme continentale du Pacifique nord, depuis la mer Jaune (dépendance de l’océan Pacifique, entre la Chine et la Corée) jusqu’au détroit de Béring, et jusqu’à Los Angeles vers le sud. Elle vit généralement entre 100 et 400 m bien qu’elle fréquente aussi les eaux superficielles. Sa taille normale tourne autour de 85 cm. Elle vit entre six et douze ans, et sa mortalité est très élevée. C’est une morue qu’on utilise beaucoup pour préparer des filets (les Russes en pêchent beaucoup et la congèlent à bord de chalutiers spécialement équipés). Salée séchée (elle est presque toujours salée sur place), elle est très fine en goût malgré une chair moins blanche que la morue de l’Atlantique.
• La morue polaire (boreogadus saida)
C’est une variété qui se caractérise par une taille inférieure à celle des autres morues (elle dépasse rarement 25 cm), un corps très svelte et une mandibule proéminente. Elle vit rarement au-delà de sept ans. On la trouve dans l’Atlantique Nord et dans le Pacifique Nord. Elle vit plutôt dans les eaux superficielles, dans les zones des glaces flottantes et près des côtes. Elle fréquente même les embouchures des fleuves car elle ne craint pas les eaux peu salées. On la pêche surtout en Russie, tant pour sa chair que pour son foie. C’est une catégorie particulière au niveau des douanes.
Quelques spécifités
Chacune de ces morues a ses spécificités. Le cabillaud de l’Atlantique passe pour être le meilleur, mais son goût n’est pas le même en fonction des zones de pêche, les deux les plus réputées étant les îles Lofoten en Norvège, et l’Islande. Chacune a évidemment ses inconditionnels. La morue qui provient du sud de la Nouvelle-Écosse est également très recherchée parce qu’elle est très belle, très épaisse. Quant à la morue de Terre-Neuve, elle est aujourd’hui moins estimée dans la mesure où elle est plus petite, tout comme celle du Labrador, qui est encore plus petite.
Les fausses morues
Poissons pouvant être salés séchés…
mais n’ayant pas droit à l’appellation morue !
« On ne peut saler que les morues marron avec une raie blanche sur les côtés dans le sens de la longueur, les colins, presqu’aussi gros que les morues, gris avec une raie blanche, les “anons” ou “bourriques” grises avec une raie noire, que les Anglais appellent du Haddock, sensiblement plus petits que les morues, et les lingues, claires avec des taches marron, beaucoup plus fortes que les morues que l’on trouve en grand nombre en Islande, mais pas à Terre Neuve, enfin des flétans, large poisson plat, très recherché, mais très rare. »
Max Gilbert, Pêqueux d’ Mo’ue, 1948
La famille des Gadidés est une grande famille puisqu’elle comporte une soixantaine d’espèces. Parmi elles, certaines peuvent être traitées comme le cabillaud et commercialisés comme poissons salés séchés sinon comme morues, mais le terme gadidés doit alors obligatoirement figurer sur leur étiquetage. Cinq autres gadidés subissent donc le même traitement que le cabillaud. Trois couramment : le lieu noir, la lingue franche (ou julienne) et le brosme, et deux, dans une moindre mesure : le lieu jaune et la lingue bleue.
• LE LIEU NOIR (Pollachius virens, Linné 1758)
On le surnomme fausse morue ou colin en France, voire même morue des neiges, et goberge au Canada, mais on l’appelle aussi saithe ou pollock, de ses noms américains. Il est verdâtre, avec un dos foncé, des flancs plus clairs et un ventre blanchâtre. Sa nageoire caudale ressemble à une queue d’hirondelle. Sa taille normale varie entre 60 et 120 cm. On le trouve dans l’Atlantique Nord, de l’embouchure du Saint-Laurent côté américain, jusqu’à la mer Blanche (où il est rare) à l’est, et jusqu’au golfe de Gascogne (où il est rare également) au sud, côté européen. Il vit à 200 m de profondeur en moyenne (jusqu’à 300). Le lieu noir effectue de longues migrations depuis ses aires d’alimentation et de croissance jusqu’aux frayères.
C’est un poisson bon marché, mais sa peau présente l’inconvénient d’avoir des écailles. Sa chair est légèrement rosée (contrairement à celle du lieu jaune). On en pêche surtout pour l’industrie des filets congelés. Salée séchée, sa chair est très bonne mais plus sombre (rougeâtre à brune) que celle du cabillaud.
Le foie et l’huile de foie du lieu noir sont également commercialisés.
• LA LINGUE FRANCHE, ou JULIENNE (Molva molva, Linné 1758)
Cette espèce tient à la fois du cabillaud et du congre. C’est un poisson très long avec deux nageoires dorsales. Sa mâchoire supérieure est proéminente avec un barbillon mentonnier plus grand que son œil. Sa taille varie entre 63 et 180 cm (jusqu’à 2 m). Le mâle vit jusqu’à dix ans et la femelle quatorze ans. On trouve la lingue dans l’Atlantique nord-est, du nord de la Norvège au Portugal, dans la mer de Barents, et dans l’Atlantique nord-ouest. Elle vit entre 50 et 1000 m (surtout 100 et 400 m) de profondeur. Elle est surtout pêchée à la ligne en bordure du talus continental mais on en capture aussi en Norvège, dans les eaux profondes à l’intérieur des fjords. La lingue gagne les frayères de la mer du Nord et le nord des îles britanniques. On en pêche toute l’année.
Sa chair ressemble beaucoup à celle du cabillaud, mais elle ne s’effeuille pas. Sa peau est plus épaisse, mais sans écailles. Salée séchée, la lingue franche (contrairement à la bleue) présente l’avantage d’avoir un péritoine blanc (voir ailes blanches dans “Les Mots de la Morue”).
• LE BROSME (Brosme brosme, Ascanius,1772)
Son corps est allongé, avec une tête assez forte. Il est facilement reconnaissable parce que c’est le seul gadidé de l’Atlantique nord-est à ne posséder qu’une nageoire dorsale. Cependant, on peut le confondre facilement avec la lingue quoiqu’il soit un peu plus rond. Sa queue est arrondie et présente une ligne blanche en bordure. Sa taille moyenne varie entre 60 et 95 cm. On le trouve dans l’Atlantique nord-est, du sud du Groenland et du nord de la Norvège à la mer du Nord jusqu’à l’ouest de l’Irlande, ainsi que dans la mer de Barents. Il vit entre 100 et 1000 m (surtout 150-450 m) de profondeur. Ses principales frayères sont situées entre l’Écosse, les îles Féroé et l’Islande.
Sa peau est épaisse et dure, sans écailles. Sa chair blanche est très ferme, presque fibreuse. Elle est souvent commercialisée filetée.
• LE LIEU JAUNE (Pollachius pollachius, Linné 1758)
Le lieu jaune est de couleur gris olivâtre, avec des flancs mouchetés. Il se distingue du lieu noir par la proéminence de sa mâchoire inférieure, qui est en outre dépourvue de barbillon mentonnier. En plus, il possède une ligne latérale sombre et courbe alors que celle-ci est claire et presque droite chez le lieu noir. Il atteint couramment 1 m de long. On le trouve sur les côtes européennes, depuis l’Italie jusqu’au nord de la Norvège, et au nord de la péninsule ibérique et du Portugal. En revanche, il est rare aux îles Féroé et inconnu en Islande. C’est une espèce pélagique qui vit jusqu’à 200 m de profondeur, qui aime la chaleur et qui ne migre pas vers des eaux plus profondes avant l’hiver. On le pêche toute l’année.
Sa chair est maigre, un peu sèche, mais savoureuse. Elle est plus blanche que celle du lieu noir.
• LA LINGUE BLEUE (Molva dypterygia, Pennant 1784)
Très proche de la lingue franche, encore plus allongée, elle possède également deux nageoires dorsales, mais s’en distingue néanmoins par une mandibule proéminente (contre la mâchoire supérieure pour la lingue franche) et un barbillon mentonnier plus petit que l’œil. Elle mesure entre 60 et 120 cm (jusqu’à 150 cm). Le mâle vit environ dix-sept ans, mais la femelle dépasse souvent vingt ans. On la trouve en Atlantique nord-est, du Groenland et du nord de la Norvège au sud-ouest de l’Irlande. Elle vit à environ 1000 m de profondeur.
Souvent commercialisée filetée, la chair de la lingue bleue est encore plus appréciée que celle de la lingue franche. Sa peau n’a pas d’écailles. Salée séchée, la lingue bleue (contrairement à la julienne) présente l’inconvénient d’avoir un péritoine noir.
Autrefois pêché par les Terre-Neuvas et salé comme la morue, l’églefin (gadidé encore appelé ânon, bourrique ou bourricot), avait une valeur marchande supérieure à celle du faux poisson (poisson autre que la morue rapporté par les lignes ou le chalut), mais inférieure à celle de la morue. Aujourd’hui encore, il est parfois pêché en même temps que le cabillaud, notamment en Norvège où il est abondant. Toutefois, le prix de l’églefin salé reste moindre que celui de la morue aussi, quand c’est possible, préfère-t-on le commercialiser en frais ou en surgelé, car sa valeur marchande est alors supérieure à celle du cabillaud. Cependant, certains navires ou certaines usines n’étant pas équipés pour la surgélation, ils n’ont d’autre alternative que de le saler, d’autant que la chair maigre de l’églefin se prête très bien au salage. Mais il n’y a pas de véritable intérêt économique à le faire. D’ailleurs, avec l’évolution de la logistique frais et la polyvalence des usines, on en trouve de moins en moins sur le marché. Les usines norvégiennes n’étant pour la plupart équipées que pour saler, cela explique pourquoi ce pays continue d’exploiter ce poisson sous cette forme. En revanche, les Anglais savent très bien valoriser l’églefin, aussi bien frais que surgelé, ou bien encore sous sa formée fumée (haddock). Mais on ne le trouve quasiment plus en France où son prix en frais le rend prohibitif.
ET N’OUBLIEZ PAS !
LA FIN DEMAIN…
BV
Le dimanche, c’est relâche ! |
16 mars 2014 @ 2 h 01 min
[…] • Le roman de la morue (2) http://gretagarbure.com/2013/04/08/reconnaissance-du-ventre-9/ […]