Le 11 mars, c’est la journée mondiale de la plomberie : et si on parlait boyaux ?
N’y a-t-il pas des jours où le destin est facétieux ? Car voilà-t-il pas que tout à fait fortuitement, j’ai appris que le 11 mars, c’était la journée mondiale de la plomberie !
Et, je ne sais pas pourquoi, ça m’a turlupinée…
Car quel rapport avec la gastronomie, hein ?
Et puis, j’ai ouvert un livre au hasard et je suis tombée là-dessus :
« Elle l’aidait parfois, elle tenait les boyaux de ses doigts potelés, pendant qu’il les bourrait de viandes et de lardons. » (Le Ventre de Paris, Émile Zola).
Bon sang, mais c’est bien sûr !
Plomberie, tuyauterie, « boyauterie »… même combat !
Il faut dire que les méandres de l’esprit sont tout aussi alambiqués que les sinuosités intestines.
Tiens, justement : alambiqué, vous savez d’où ça vient ? D’alambic ! Parfaitement ! Car c’est à cause de la forme tortueuse du tube en hélice (ou serpentin) de l’appareil à distiller — qui ressemble furieusement à un intestin grêle — qu’on désigne ainsi quelque chose de compliqué, par métaphore.
Mais oui, c’est ça. Je tiens le bon bout ! C’est le cas de le dire.
Ne dit-on pas « j’ai des problèmes de tuyauterie » en cas d’embarras gastriques ?
Bon, ça y est, mon papier est dans les tuyaux !
Eh oui ! Les boyaux !
Que de débouchés — si j’ose dire ! — en cuisine.
Bien qu’ils soient méconnus sinon méprisés.
Il faut dire qu’une fois farcis et rebondis en gras et gracieux chapelets rabelaisiens d’andouilles, d’andouillettes, de saucisses fraîches ou sèches, de chorizos, de saucissons, de boudins et autres cervelas, ils ont des rondeurs appétissantes.
En revanche, avant d’être embossées et de recevoir une farce, ces gaines intestinales ressemblent plutôt à d’improbables préservatifs — au fait, saviez-vous que les premiers étaient précisément faits en boyaux de mouton ? (Ouille, rien que l’idée me fait mal !) — et ne sont guère ragoûtants.
Pourtant, ils sont la fine enveloppe protectrice de toutes ces délicieuses charcuteries.
Bon, parlons sans ambages !
Les boyaux que j’évoque sont ni plus ni moins les intestins des animaux de boucherie destinés à fabriquer des charcuteries. On utilise ceux du bœuf, du mouton, du porc, voire du cheval et de la chèvre [comme dans « la corde » (a corda), recette de Porto-Vecchio en Corse].
À noter d’ailleurs qu’autrefois on cuisinait aussi les intestins des canards et des oies (abignades landaises) et qu’on utilise toujours les intestins du stockfish (cabillaud séché entier, non ouvert et non salé) pour les magnifiques recettes de l’estoficada niçoise et de l’estofinado rouergat. Mais pas pour les farcir.
Par intestins, il faut comprendre la partie qui va de l’estomac (non compris) à l’anus, autrement dit l’intestin grêle, et le côlon. Eh oui !
Et contrairement à une idée reçue, les tripes ne sont pas préparées à partir de boyaux mais avec les différents estomacs des ruminants : la panse, le bonnet, la caillette (ou franche-mule) et le feuillet, quatre morceaux aux reliefs variés qu’on se doit de mélanger dans cette préparation.
Et bien sûr, selon la bête, les boyaux ont des calibres différents qu’on utilise à bon escient. On comprend aisément que le gros jésu(s) de Lyon et les petits figatelli corses ne nécessitent pas les mêmes habits.
Alors le boyau, oui, passe encore, dirons les nez-pincés.
Mais l’usage qui a été le leur pendant leur vie organique n’incite pas vraiment à la gourmandise.
Cette promiscuité intérieure avec vous savez quoi… beurk !
C’est certain, cela implique évidemment qu’il faut d’abord un nettoyage de printemps au kärcher et un dégraissage pour éviter les odeurs et les goûts intempestifs ! Du travail de dentellière !
Un p’tit haut-le-cœur à ces évocations ?
Envie de rendre tripes et boyaux ?
Un p’tit coup de tord-boyau pour vous remettre ?
En tout cas, quand le travail est bien fait, cela donne un résultat incomparable !
Rien à voir avec les boyaux synthétiques reconstitués à partir de fibres animales collagéniques ni avec les boyaux artificiels en cellulose qu’on est obligé de laisser sur le bord de l’assiette. Encore qu’ils aient leur utilité. Car vu le diamètre de la mortadelle, il n’est pas sûr qu’un boyau de mammouth suffirait !
Bon, soyons racccord. Et en plomberie, le raccord, hein ?
Les boyaux servent à faire les peaux de saucissons (et assimilés), on le sait.
Mais ils servent aussi à préparer la farce de différentes charcuteries, andouilles et andouillettes notamment : andouilles de Guéméné et andouillettes de Troyes avec le chaudin (ou gros intestin) de porc. Malheureusement, entre 2000 (à cause de l’épizootie d’ESB, autrement dit la maladie de la vache folle) et 2016 (année où la fraise de veau a été réhabilitée et à nouveau autorisée à la vente), il était interdit de fabriquer des andouillettes de veau, traditionnellement à base de fraise de veau. Les andouilles de Vire sont également élaborées avec des chaudins mais avec aussi de l’estomac de porc.
En effet, la recette existe bel et bien — elle se faisait surtout dans les campagnes du Centre et de l’Ouest de la France — mais il s’agit d’un dessert tellement rustique (pâte pétrie à la main faite de farine, de sel, d’un peu de sucre, de beurre, d’œufs et de lait) que, comment dire ? D’abord, il risque de faire sauter vos plombages, et ensuite… il plombe bien ! À moins d’avoir un bon tuyau de descente.
Une galette que j’ai testée pour vous, je vous le prouve avec photo à l’appui. Mais je n’aurai pas l’indélicatesse de vous en livrer le secret dans le tuyau de l’oreille car c’est un plomb qui ne se change guère en or.
Puis tiens ! Avant de vous quitter, je vais ramener une dernière fois ma fraise… de veau pour l’occasion (qui n’est autre que l’intestin grêle du veau fendu, comme j’ai omis de vous le dire plus haut).
Car maintenant qu’en vertu du décret n° 2011-1220 du 20 décembre 2001, toutes les canalisations en plomb ont dues être remplacées (au 25 décembre 2013), comment donc rebaptiser les plombiers ?