La tradition des œufs de Pâques
Symbole de renouveau
Depuis toujours en effet, l’œuf a été considéré comme le principe même de la vie et le symbole du renouveau, et la tradition chrétienne, en associant l’offrande des œufs à la fête de Pâques, n’a fait qu’inscrire ses propres symboles dans la lignée des anciennes croyances. C’est en 325 que le concile de Nicée plaça la célébration de la résurrection de Jésus à cette époque précise de l’année qui suit l’équinoxe de printemps — Pâques tombe toujours le dimanche qui suit la première lune de cet équinoxe, c’est pourquoi c’est une fête mobile — et correspond au renouveau printanier pour tout le monde méditerranéen. Initiative astucieuse de faire coïncider les deux et qui plus est d’y associer l’œuf, qui contient tout l’avenir en germe, perpétuant la tradition populaire des œufs au lieu de la prohiber. Tradition qui remonte en fait à la plus haute antiquité, depuis le commencement du monde même puisque l’œuf, déjà chargé de symbolisme, était présent dans la mythologie.
L’œuf primordial et les peuples de l’Antiquité
La mythologie grecque nous enseigne que « Bien avant l’origine de toutes choses dans un passé brumeux d’âges immémoriaux, rien n’existait que le désordre confus et vague du chaos sur lequel planait l’obscurité éternelle. Deux enfants naquirent de ce néant informe : La Nuit, fille du Chaos, et Érèbe, gouffre insondable où demeure la mort. » Dans tout l’univers, il n’existait rien d’autre que ces ténèbres jusqu’au jour où…
« La nuit aux ailes noires
Déposa un œuf né du vent
Dans le sein du sombre et profond Érèbe.
Et tandis que passaient les saisons
Vint celui que tous attendaient,
L’Amour aux ailes d’or étincelantes.
L’Amour créa la lumière,
Et avec elle son compagnon obligé,
Le Jour Radieux,
Puis la terre, les Dieux, et enfin l’humanité. »
ainsi que nous le rapporte Aristophane.
Dans l’Antiquité, l’œuf était d’ailleurs « primordial » puisque considéré comme le premier principe d’organisation après le chaos. Plusieurs philosophes anciens regardaient l’œuf comme le symbole du monde et des quatre éléments : la coquille représentait la terre, le blanc l’eau, le jaune le feu et l’on trouvait l’air sous la coquille. Et déjà, on échangeait des œufs teints en rouge au printemps.
Et qu’il s’agisse des Phéniciens, des Égyptiens, des Hindous, des Chinois, des Incas, des Celtes, des peuples agricoles d’Europe et d’Asie, des Grecs et des Romains, toutes leurs mythologies invoquent une histoire ou une légende liée à l’œuf, hélas trop longues à raconter ici.
L’œuf et le Christianisme
L’avènement du Christianisme ne chassa pas ces pratiques, il se contenta d’en changer la signification. Assimilant éclosion et résurrection, les premiers chrétiens portaient des œufs à l’église pour les faire bénir et les offraient ensuite aux parents et amis en signe de réjouissance, souvent après les avoir teints en rouge pour exprimer l’éclat du Christ ressuscité. Mais c’est au Moyen-Âge surtout, alors que le Carême était très rigoureux et que les œufs n’étaient permis que lorsque la marée faisait défaut, que la tradition devint si populaire. On vidait, peignait ou décorait les œufs non consommés (abondamment pondus par les poules en cette saison). Chaque dessin était symbolique : le soleil était un souhait de bonne fortune ; un coq la réalisation de tous les vœux ; un cerf, la santé ; les fleurs, l’amour. Mais avant de décorer les œufs, il fallait les ramasser, quête qui se faisait le Samedi-Saint et qui était dévolue aux étudiants et clercs d’église qui formaient cortèges dans les villes. À la campagne, les enfants de cÌoeur allaient de maison en maison et chantaient en s’accompagnant de crécelles :
« Si votre poule a bien pondu
Vous donnerez bien entendu
Dix œufs dans le panier que v’là,
Alleluia ! »
En Normandie, ce sont les sacristains et les meuniers qui faisaient la quête de ces œufs « pâquerets ».
Le dimanche de Pâques, après la messe, certains gobaient à jeun les œufs pondus le Vendredi Saint car ils passaient pour préserver des maladies jusqu’aux Pâques suivantes. On prenait bien soin, ensuite, d’en écraser finement les coquilles afin que le Diable, ou quelque mage mal intentionné, ne vienne pas écrire votre nom dessus pour vous jeter un sort. Dans de nombreux villages, on dégustait des omelettes géantes et l’après-midi, de nombreux jeux étaient organisés avec des œufs durs colorés en rouge ou en bleu : roulées, jonglage, toquettes, etc.
Les œufs précieux
Cette tradition des œufs de Pâques n’était pas seulement une coutume populaire. À la Cour de France, les œufs étaient ramassés par des officiers de bouche dans toute l’Île-de-France, dorés à l’or fin, bénis pendant la messe royale et distribués par le roi à ses gens et ses courtisans. À la Renaissance, ils prirent des allures précieuses. L’œuf de Pâques reçu par François 1er contenait à l’intérieur de sa coquille tous les mystères de la Passion, sculptés sur bois. Louis XIV fit porter au couvent, à Mademoiselle de Lavallière, un œuf qui contenait un morceau de la vraie Croix. Louis XV offrit quant à lui à La Dubarry un œuf de cane énorme, recouvert d’or finement ciselé, avec incrustations de pierres précieuses.
De la Révolution à nos jours
Pendant la Révolution, cette coutume était si ancrée dans les mœurs du peuple que ce fut l’une des seules à n’être pas abolie… mais on trouvait à l’intérieur des œufs de minuscules Bastilles et des guillotines miniatures !
Au XVIIe siècle, les œufs de poule décorés offerts par les riches étaient de vrais petits chefs d’œuvre, comme ceux peints par Watteau de paysages de bergeries. Les aristocrates prirent l’habitude d’offrir des œufs précieux qui résistent au temps : œufs d’autruche à monture d’or ou de vermeil, œufs en or, en argent, en pierres précieuses, œufs en ivoire richement sculptés, en faïence peinte et autres merveilles. En Russie, Pierre-Karl Fabergé créa les œufs de joaillerie d’art éponymes, pièces uniques destinées aux Romanov et aux grandes familles. Ces œufs dont la plupart sont aujourd’hui dans des musées ou des collections privées sont estimés à plusieurs millions de dollars. Ainsi, peu à peu la coutume s’est désacralisée au profit du commerce pour faire bientôt le bonheur des confiseurs.
Les œufs de Pâques en chocolat
C’est à la fin du XIXe siècle qu’un admirateur de Sarah Bernhardt eut l’idée de lui offrir un œuf en chocolat. Et c’est depuis ce jour que les pâtissiers et confiseurs ont pris l’habitude d’offrir des œufs de Pâques en friandises et bonbons, ce qui eut un succès immédiat. À ce symbole gourmand sont bien vite venues se rattacher des légendes pour enjoliver les rêves des enfants : œufs cachés dans les jardins, apportés selon les régions par les cloches au retour de Rome ou par le lièvre. En Alsace, on dit que les œufs sont pondus par un lièvre blanc, l’Osterhase. Et à ces légendes, dans bien des campagnes sont nées des traditions en forme de superstitions : gâteaux et desserts riches en œufs et gages de prospérité (galette pacaude, alise vendéenne), brioches en forme de couronnes garnies d’œufs durs avec leurs coquilles, coloriées ou non : gâteau de Pâques niçois, caccavelli de Sartène en Corse, cavagnats de Menton et échaudés de Nice (garnis d’œufs rouges marqués d’une croix en pâte), campanili de Bastia (sortes de corbeilles à grandes anses décorées de deux œufs blancs), et surtout ces » soupes dorées », genre de pain perdu (tranches de pain trempées dans le lait et l’œuf battu puis frites) que l’on mangeait en Limousin et en Limagne, en Savoie, dans les Ardennes et dans la Creuse (soupe rousse)… afin que les poules pondent bien.
Coutumes qui tombent en désuétude peu à peu mais les artisans-chocolatiers et les confiseurs rivalisent d’imagination pour nous consoler : œufs en chocolat, vrais œufs vidés et remplis de chocolat praliné, œufs en nougat, en nougatine, en sucre, remplis de liqueur ou d’œufs plus petits encore. Sans oublier les poules, les lapins, les petits poissons et bien d’autres fantaisies.