Du nombre idéal de convives à table
« On a dit du nombre des convives : plus que les Grâces, moins que les Muses, c’est-à-dire de quatre à huit.
C’est, en effet, la table idéale. Pourquoi ?
D’abord parce que, pour quelques personnes, on peut faire de la cuisine, tandis que pour un banquet on travaille en série ; à huit, la conversation reste générale ou peut rester facilement. Lorsqu’on est plus nombreux il n’y a plus, autour de la table, qu’une série de colloques, et quand, par hasard, un sujet intéresse tous les convives, celui qui parle a l’air de prononcer un discours.
De quatre à huit, les convives peuvent avoir tous du vin de la même bouteille.
Et c’est beaucoup plus important qu’on ne le croit, car le vin est une matière vivante, spiritualisée, toujours en action. Le vin qui est sorti de la même cuvée, du même tonneau, de la même feuillette, peut varier d’une bouteille à l’autre. D’une bouteille à l’autre, il n’est jamais exactement semblable à lui-même.
Ainsi donc, si l’on est plus de convives à table qu’une bouteille ne contient de verres, il n’y aura pas communion complète entre eux, puisqu’ils communieront sous des espèces liquides qui peuvent différer et même différer sensiblement quoique le vin ne soit pas d’une vieillesse excessive, qu’il soit encore dans toute la plénitude de son épanouissement.
Donc, pour le beau repas, je formule cette proposition :
Le nombre des invités doit correspondre au nombre de verres que peut contenir une bouteille. »
Lu dans « L’Amphitryon d’aujourd’hui », de Maurice des Ombiaux, 1936
Morceau choisi par Blandine Vié