David Réal, chef des cuisines du Westin : partage et transmission sont les valeurs de ce « Noble Cœur »

Facebook a des bons côtés quand on l’utilise intelligemment. Ainsi, ce n’est pas parce que j’ai déjeuné ou dîner au First, le restaurant du Westin, que je connais David Réal et ce n’est donc pas une chronique de sa table que je vous propose ici mais plutôt un portrait même si, bien sûr, je ferai aussi allusion à sa cuisine.
Non, c’est parce que, cet automne, j’ai eu besoin d’un visuel pour illustrer une blanquette de veau dans un article sur ce plat emblématique (écrit pour le média numérique Singular’s) que j’ai passé une annonce sur le réseau social cité plus haut sollicitant des chefs pour recueillir quelques photos. David Réal a réagi aussitôt alors que nous ne nous connaissions pas. Un acte de partage spontané que j’ai évidemment apprécié. Cela nous a amenés à dialoguer un peu.
Et puis, fin novembre, afin de nous connaitre mais aussi dans la perspective de me présenter quelques personnes avec qui il savait que j’allais avoir des atomes crochus, il m’a invitée au banquet annuel des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis dont il préside la section de Paris : banquet précédé d’un apéritif dans le magnifique Salon Aiglon et repas dans le non moins superbe Salon Impérial.


Mais que je vous explique un peu ce qu’est l’Union Compagnonnique des Devoirs Unis. Depuis sa création en 1889, les Compagnons sont les défenseurs du progrès technologique et, dans les nombreux métiers qu’ils exercent, de bouche, du bâtiment ou d’art — armurier, bijoutier, boulanger, charcutier, charpentier, couvreur, cuisinier, dinandier, doreur sur bois, ébéniste, électricien, ferronnier, imprimeur, photographe, luthier, maçon, maréchal-ferrant, menuisier, miroitier, pâtissier, peintre, photographe-retoucheur, plombier, prothésiste, dentiste, sellier-harnacheur, tailleur de pierre, tapissier, tourneur sur bois… et j’en oublie certainement — ils ont un constant souci de perfection et d’excellence, tant professionnelle que morale.
Surtout, ils se font un devoir de transmettre leur savoir en accompagnant de jeunes « aspirants » (plus de 18 ans et un CAP) ou « compagnons » (il faut avoir moins de 37 ans pour le devenir) dans une formation personnalisée qui va leur permettre, lors de leur Tour de France, d’acquérir ou d’améliorer des connaissances professionnelles en respectant rigueur et probité. Le compagnon de métier qui s’engage en le parrainant va aider le jeune dans cette voie de perfection qu’il devra concrétiser par un chef-d’œuvre.
Pendant cet apéro, et alors que je ne connaissais personne, j’ai effectivement fait quelques belles rencontres, de celles qui génèrent de grandes amitiés — mais je n’en dirai pas plus —, tout en grignotant quelques amuse-bouche fort sympathiques, comme vous pouvez le voir ci-dessous. Il y avait aussi des tortellini de bœuf au foie gras mais ma photo est floue. Bien entendu, c’est à ce moment que j’ai fait la connaissance « pour de vrai » avec David, même si ça a été furtif dans la mesure où, tout à sa cuisine, il n’a fait que de brèves apparitions pour saluer les uns et les autres et établir des connexions entre nous.


Après cette heure de papotages, le temps que les deux-cents convives arrivent — oui, oui, nous étions 200 ! —, nous nous installons à table, par affinités. Je suis à la table centrale baptisée « Cayenne de Paris » — celle de Nicolas Bossard, compagnon couvreur zingueur dit Normand la Fidélité de l’Union, Président des Compagnons du Tour de France Des Devoirs Unis —, face à l’estrade où vont se dérouler les discours et avec vue plongeante sur la Tour Eiffel.
Mais jetons un coup d’œil sur le menu :

Nous commençons par un potage dit Billy by, un potage du répertoire classique aux moules mais orné d’une superbe langoustine bretonne. C’est évidemment délicieux, chaud, la langoustine est charnue, sans surcuisson et revigore joliment le potage aux moules de bouchot tandis que la tuile apporte un peu de croquant.

Nous poursuivons notre promenade gourmande en bord de mer puisqu’on nous sert de très belles noix de coquilles saint-jacques normandes juste snackées sur un lit de risotto de riz venere, un riz noir originellement asiatique qui devient violet foncé après cuisson. Cette couleur est due à une teneur exceptionnellement élevée du péricarpe du caryopse en anthocyanes, des pigments qu’on retrouve aussi dans le raisin noir et donc dans le vin rouge. Autrefois en Chine, il était réservé à l’empereur. On le cultive depuis quelques années en Italie du Nord, dans la plaine du Pô, où il a pris le nom de riz venere (riz de Vénus). Les noix de saint-jacques ont un petit goût de noisette et la châtaigne qui accompagne le riz complète très judicieusement la symphonie des saveurs, émoustillée par la sauce bisque du risotto, très onctueux en bouche.

Le plat principal est un plat de viande qui nous emmène cette fois en Corrèze, région qui élève de magnifiques bovins et qui, soit dit en passant est la région natale du chef David Réal. Le paleron de veau de Corrèze est confit, fondant, avec une jolie sauce blanquette ragaillardie (clin d’œil à Brive) par un jus de veau à la truffe qui lui apporte raffinement et subtilité. Un cordon de purée l’entoure, créant ainsi une sorte d’îlot. C’est un plat très goûteux, moins rustique qu’il en a l’air.

Pour clore ce repas, la pâtissière Florence Lesage nous a concocté un millefeuille de tradition à la vanille de Madagascar, très parfumée. Joliment dressé avec sa tuile en feuilletage et un petit sorbet pour rafraîchir le tout, c’est un point d’orgue tout à fait agréable.

Pendant ce repas nous avons devisé joyeusement, conversations entrecoupées de discours entre les plats pour nous présenter les nouveaux compagnons, le livre épatant de Guy Krenzer sur la charcuterie, rendre quelques hommages, chanter, remercier les brigades de cuisine et de salle — et là, je dois dire que j’ai été bluffée car bien qu’étant 200, nous étions tous servis en même temps et les plats étaient tous parfaitement chauds —, etc. Et tout ça dans une ambiance de joie communicative.

Un banquet qui s’est terminé comme il se doit par une photo de famille des compagnons. On aperçoit David Réal tout à fait à droite avec sa veste blanche de cuisine.

Ce banquet s’étant prolongé plus longtemps que prévu tant les échanges furent enrichissants et harmonieux, que David et moi avons dû reporté l’interview que je devais faire de lui à l’issue de ces agapes.
Ce fut donc partie remise quelques jours plus tard, dans son bureau, où j’eus à nouveau la chance de goûter un dessert « tout poire » de la pâtissière Florence Lesage. Et je le dis sans la moindre flagornerie vu qu’il est de notoriété publique que je suis plus salé que sucré.

Un chef qui aime son métier
Nous commençons bien sûr par une petite présentation biographique, indispensable pour mes lecteurs.
Comme son patronyme l’indique, David a un nom d’origine espagnole car ses grands-parents républicains ont fui l’Espagne à l’époque de la dictature de Franco, un acte doublement courageux, politiquement d’abord, mais aussi parce qu’il faut avoir des tripes pour s’expatrier en sachant que vos enfants n’auront pas la même culture que vous. J’admire, même en ayant été assez nomade dans ma vie, mais pour des raisons bien moins fondamentales.
Toujours est-il que la famille Réal s’est installée à Brive-la-Gaillarde, une bien belle région ma foi, tant par ses paysages que par sa cuisine, et que la chanson de Georges Brassesns Au marché de Brive-la-Gaillarde m’a rendue sympathique à jamais car il y parle des femmes avec un regard qui est celui du vrai féminisme, ces batailles d’oignons valant mille fois mieux pour moi que ces batailles ridicules pour la féminisation des mots et autres caricatures.
Bon, revenons à David. C’est donc là qu’il grandit, s’éprend de rugby — un sport éminemment fraternel et formateur avec des valeurs proches de celles du compagnonnage — et se tourne très jeune vers l’apprentissage de la cuisine. Ça lui plaît car nourrir les gens, symboliquement, ce n’est pas rien. Mais en plus, il aime découvrir les produits, leur goût, les apprêter au mieux, les mettre en scène pour les mettre en valeur et non pour jouer les peintres du dimanche qui font de leurs assiettes des tableautins où la pensée élevée sous serre, la fleur de capucine et la fleur de bourrache ont finalement plus d’importance que la recette qu’elles parsèment. Bref, il apprend la boulangerie et la cuisine au réputé lycée hôtelier de Souillac. À la fin de sa formation, Thuriès l’embauche. Pratiquant parallèlement le rugby, il rencontre Ricou Charrier, figure locale du compagnonnage qui va l’initier à la charcuterie et à l’amour du travail bien fait. Il continue sur sa lancée, bouge un peu deci delà, part à Tulle, puis à Paris, d’abord à la brasserie du Lutétia et ensuite au Fouquet’s, fait un détour par Londres, et finit par se retrouver chef exécutif des cuisines du Westin en 2015, à 40 ans. Et c’est colossal, d’une logistique très lourde. Parce qu’il n’y a pas que le restaurant Le First, il y a aussi les petits-déjeuners et le room service pour les 425 chambres de l’hotel à gérer !
Mais David est un passionné. Quand il aborde un produit, une viande par exemple, il dit « Il me faut une histoire, un fil conducteur. Mais si le travail est bien fait, la qualité coule de source. » Il aime travailler la viande et le poisson. Il a un faible pour le veau et notamment pour la recette de l’osso-buco dont le gélatineux en bouche le séduit — merci David, ayant vécu 5 ans à Milan, c’est également une de mes recettes de prédilection —, et les tendrons de veau « avec le gras qui perle ».
Son goût personnel le porte vers des plats qu’on partage, des plats qui ont des racines et dont il se régale le week-end : pot-au-feu, joues de bœuf, cannelloni. Comme il dit joliment: « J’ai envie de manger dans la cuisine, dans la casserole. L’assemblage, le dressage sur assiette, l’espuma, les couleurs, le cumin sur le bord de l’assiette, je n’ai plus envie. Le jour où je m’y mettrai, c’est que je n’aurai plus envie d’apprendre. La vraie cuisine, c’est du gras, du sel, du sucre. » Tout à fait la philosophie de Greta Garbure : la cuisine, c’est d’abord du goût. Ça se réfléchit en termes de textures, d’odeurs, de saveurs, ce qui nécessite une réflexion intellectuelle en amont et une gestuelle technique afin de susciter une harmonie. Ça n’est pas seulement du mécano pour proposer une assiette graphique qui ne provoque pas d’émotion en bouche.
Et il conclut tristement : « Plus j’aime mon métier, plus je déteste ma profession. » Rapport bien sûr aux tendances grégaires qui font qu’on a souvent l’impression de manger partout pareil. Et il prédit : « De toute façon, on va vers un virage culinaire. Je pense même que d’ici quinze ans, il faudra revoir la construction et l’objectif du concours des MOF (Meilleur Ouvrier de France et qu’il n’y aura peut-être plus d’étoilés. Ça coûte trop cher. Les établissements ne gagnent pas assez d’argent pour continuer à financer tout ce luxe. On va nécessairement revenir à des valeurs fondamentales. »

Partage et transmission lui ont valu le nom de Corrézien Noble Cœur
Mais ne croyez pas pour autant que David soit pessimiste. Il est lucide, ce n’est pas pareil. Et s’ il déplore toutes ces émissions où l’on donne l’illusion à des jeunes qu’on peut devenir cuisinier en trois mois, c’est parce qu’il sait que c’est un leurre. Il tient à s’exprimer sur le sujet : « On exploite ces gosses pour faire du spectacle, c’est une triste réalité. C’est peut-être un peu violent ce que je dis mais quand on transmet, on n’en parle pas. C’est pour ça que je suis si attaché au compagnonnage, au travail. Nous sommes de passage sur cette terre, la mort est la finalité obligée. Alors, c’est notre rôle de passer le témoin à la jeunesse. Seul le voyage est initiatique. De toute façon, le travail te rendra uniquement ce que tu veux bien lui donner. Un savoir-faire jamais pris en défaut vaut toutes les notoriétés éphémères.
« Pour ces jeunes encore profanes, je représente le compagnonnage », dit-il. « L’excellence est un choix technique qui se fait dans la cuisine, pas sur scène. » On le voit, les valeurs de David Réal sont éthiques. Ce qui lui a valu son nom compagnonnique de Corrézien Noble Cœur mais aussi de présider la section de Paris des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis de 2015 à 2018, avant que Nicolas Bossard ne prenne le relais. Car son discours n’est pas que du bla-bla, il forme vraiment des jeunes, non seulement à avoir un métier mais également à le pratiquer avec toute la technique requise mais aussi avec discernement et amour.
Je ne pourrai conclure que par ces mots : une très belle âme que celle de David Réal !
Et j’espère très fort que les jeunes qu’il accompagne le réalisent.
Le Westin Paris-Vendôme
3, rue de Castiglione
75001 Paris
Tél. 01 44 77 11 11
Site : www.westin.com/paris
Blandine Vié
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