Boire du vin, c’est manifester !
L’imbécillité qui va de pair, on commence à le savoir, avec l‘ignorance a suffisamment provoqué de dégâts pour qu’on prenne conscience de l’immense vide à combler. Du mal a été fait, des coups ont été portés, des blessures ont laissé des cicatrices…
Alors, je demande pardon par avance : je vais commettre un amalgame !
J’ai le goût de la vie, j’aime boire du vin et pourtant je déteste les états d’ébriété, les miens et surtout ceux des autres (bien sûr !). Je déteste l’irresponsabilité qu’ils provoquent, de l’hilarité gonflante jusqu’à la déraison meurtrière.
Quand je bois du vin, c’est pour de nombreuses raisons avouables : je veux comprendre pourquoi je l’aime, je recherche une élégance aristocratique qui ne m’environne pas toujours, je veux atteindre une connivence avec mes amis proches ou de rencontre, une complémentarité, une cohérence avec un plat ou un repas… parce que je sais ce que je bois !
Je bois de la culture régionale, je bois du plaisir introspectif ou des sourires partagés, je bois respectueusement, avec attention, pour en discerner les nuances qui l’ont fait différent de celui du voisin. Je bois avec allégresse parce que le vin, c’est de la complicité en bouteille, des clins d’œil dans chaque verre, de la compassion et parfois même de l’amour et de l’amitié c’est-à-dire une connaissance bienveillante de ce qui nous unit ou nous sépare.
Et nous y voilà ! Ce qui nous a rassemblés le 11 janvier dernier, dans ces rues où il ne se passe pas toujours de jolies choses, c’est cette volonté trop rare de nous reconnaître dans l’autre, l’inconnu ou le voisin de palier (et c’est souvent le même !). Raphaël Enthoven lui aussi a parlé de nuances : il y avait bien des raisons d’être ensemble à battre le pavé plutôt qu’être resté au chaud dans un fauteuil. Peut-être bien 3 ou 4 millions de raisons, de nuances, plus ou moins d’attachement à Charlie Hebdo, plus ou moins d’intérêt pour tous ces musulmans, chrétiens, juifs, athées, agnostiques… en tant que tels. Plus ou moins de respect aussi pour tous ces grands dirigeants d’un monde trop grand pour nous. Nous avions le mérite d’être là, d’avoir fait l’effort de nous joindre, de nous rejoindre, sans calcul, sans arrière-pensée.
Ce jour-là, nous avons bu dans le même verre et nous avons trouvé le vin exceptionnellement bon. Alors, ça nous a mis les larmes aux yeux. Hommes, femmes, jeunes, vieux, laïcards, cul-bénits, anciens khmers, futurs fachos, on était tous représentés !
Évidemment, dès le lendemain la tempérance s’est imposée dans les esprits et les gosiers. Quelques-uns se sont à nouveau asséchés mais maintenant on connaît mieux les phénomènes du réchauffement climatique temporaire : il lui faut des causes justes et du vin.
Bernadette Douenne
26 janvier 2015 @ 7 h 43 min
La philo de comptoir… non, au comptoir, emblasonnée de sensibilité et d’élégance.
Oui, nous étions émus, en colère mais heureux, un brin au-dessus de nous-mêmes.