T’as de beaux restes, tu sais : arlequins, reliefs, vestiges et rogatons !
Ah ! les restes ! Une de mes passions ! La vraie créativité : celle du bon sens ! L’une des vertus de la cuisine paysanne comme petite bourgeoise, quand on se préoccupait encore de bonne économie domestique. Ne serait jamais venu à personne l’idée de jeter (au bas mot) 20 kilos d’ordures ménagères alimentaires (comptabilisés sans emballages, il va sans dire) par habitant et par an. Des restes qu’il était même judicieux de préméditer. J’y reviendrai !
Toujours est-il que, dès le Moyen-Âge — et sans doute même avant — les restes des repas se monnayaient pour quelques sous, parfois même étaient donnés aux indigents. Cela fut encore plus vrai au XIXe siècle quand les établissements de restauration se multiplièrent. Mais, soit par poésie, soit par dérision, on « rhabilla » le vocabulaire pour les nommer, tout comme on rhabillait les restes pour tenter de les rendre appétissants. Car bien évidemment, il ne s’agissait pas d’aliments non consommés lors des repas familiaux et rabibochés avec ingéniosité pour en faire de nouveaux plats gourmands le lendemain, mais bien plutôt de reliquats pas toujours ragoûtants, voire de rognures plus ou moins apprêtées. Un usage dont on pourrait croire qu’il a disparu aujourd’hui de nos mœurs, mais hélas pour renaître sous d’autres formes — banques alimentaires et glane des marchés (voir le lien ci-dessous) — et qui témoignent du fait que la pauvreté reste une plaie universelle de toutes les époques.
Reliefs
Généralement au pluriel — mais le dictionnaire Littré signale qu’il peut aussi être employé au singulier — le mot « reliefs » désigne les restes d’un plat, d’un repas, d’un festin. C’est un terme du langage usuel même s’il n’est plus très usité. Ce mot s’explique par le fait que, même vide, l’assiette ou le plat garde un certain relief à cause de la présence de déchets ayant un certain volume tels qu’une carcasse de poulet, une arête de poisson, etc.
Rogatons
Ce sont des restes de nourriture. Les « rogatons » — du latin rogare signifiant demander — étaient à l’origine des reliques ou des indulgences que certains religieux mendiants portaient aux seigneurs pour en tirer quelque argent. Le mot rogaton a ensuite servi à désigner divers objets de peu d’importance tels que des restes de nourriture que l’on donne ou que l’on vend aux plus démunis. Faisant jadis partie du langage courant, il est aujourd’hui tombé en désuétude.
Arlequins
Au XIXe siècle, on appelait joliment « arlequins » un assortiment constitué par les restes provenant de la desserte des tables de restaurants et des grandes maisons. Ils étaient revendus à des consommateurs peu fortunés à la sortie des cuisines. Appréciés parce qu’ils comportaient souvent des débris de viandes, ils étaient composés de morceaux accolés provenant de plusieurs plats, autrement dit des restes laissés dans leurs assiettes par les clients. C’étaient des marchandes appelées « regrettières » qui les récupéraient et les assemblaient, d’où leur surnom de « rhabilleuses » ou de « bijoutières ». C’est ce qui a donné l’idée à un clochard facétieux de surnommer cette juxtaposition « arlequins » — l’ivresse aidant, peut-être ! — faisant ainsi une allusion poétique aux morceaux disparates et de différentes couleurs composant le manteau d’Arlequin. Adopté par les usagers de l’argot, il a ensuite prévalu sur le mot rogatons.
Vestiges
C’est un mot qui n’a plus cours en cuisine. Mais dans la première moitié du XIXe siècle, les vestiges — on dit aussi vestos — étaient des mots utilisés pour désigner les quelques légumes secs flottant dans la soupe. Évocation ironique faisant référence aux vestiges architecturaux en passe de devenir des ruines.
Relire aussi notre article : « La glane ou la faim des marchés » :
http://gretagarbure.com/2013/03/23/les-marches-3/
jean vuotto
13 juillet 2014 @ 14 h 49 min
BONJOUR………une petite rectif…please….Ballottine prend deux TT, sinon vos recettes me font bien rire.
Merci.
Jean
gretagarbure
13 juillet 2014 @ 15 h 07 min
Bonjour Jean !
Désolée de vous contredire mais ballotine peut s’écrire avec un T… ou deux !
Il n’y a pas de faute, Wikipédia vous le confirmera.
Mais nous sommes très heureux que nos recettes vous fassent rire !
Les mots des mets (la saveur cachée des mots) |
8 septembre 2014 @ 6 h 02 min
[…] Mot que l’on utilise par référence à l’habit bariolé du personnage de la Commedia dell’arte pour qualifier une juxtaposition de petits restes hétéroclites. Pour en savoir plus, c’est là : http://gretagarbure.com/2014/05/20/les-mots-des-mets-la-saveur-cachee-des-mots-37/ […]