Interview : Jean-Marc DUFOULEUR, Domaine des Monts Luisants à Morey Saint-Denis
À l’heure où les « héros » de la télé-réalité font plus ou moins ingénument l’étalage de leurs QI de noix de pétoncles, Jean-Marc Dufouleur est un homme qui a des idées mais qui hésite à les revendiquer. Incroyable à une époque où tous ceux qui n’ont rien d’intéressant à dire tiennent absolument à le faire savoir, où le moindre nigaud découvrant l’eau tiède fait bien souvent la une d’une presse extatique. Il faut lui extorquer ses convictions et il s’excuserait presque de vous les livrer quand vous insistez. Il est vrai que la fanfaronnade n’est pas le mode d’expression dominant dans cette Bourgogne taiseuse dont les vins sont souvent plus loquaces que ses vignerons !
– Parlez-nous de vous, Jean-Marc, et de votre Bourgogne.
– Parler de soi-même est très facile…ou trop compliqué ! Mais ce n’est vraiment pas dans ma nature…
Eh bien voilà une interview qui commence sur les chapeaux de roues et sous les meilleurs auspices ! Il va falloir y aller à la fourchette à escargot ! Ça tombe bien, c’est précisément la spécialité gastronomique de la région, le gastéropode.
– Quant à la Bourgogne, faite de noeuds routiers et ferroviaires, elle est une terre de rencontres et donc de paradoxes. Les hauts murs des propriétés cachent peut-être l’essentiel, contrairement à l’exubérance apparente de leurs toits multicolores flamboyants. De même pour son encépagement unique qui dissimule mal la diversité, la complexité et le charme de ses multiples climats. On peut sans doute appeler ça de la pudeur.
– Et votre Domaine des Monts Luisants ?
– J’ai repris les 3,4 hectares du domaine familial en 2000. Ce sont des vignes de près de cinquante ans, à part un « bouton de culotte » en Grand Cru Clos de la Roche que j’ai entièrement replanté. L’appellation morey saint-denis est située entre Gevrey-Chambertin et Chambolle-Musigny.
– On a connu des voisinages plus pénalisants !
– Ils n’ont pas non plus à se plaindre de nous ! Nos coteaux argilo-calcaires sont orientés est sud-est et selon les parcelles, on est dans le gras ou bien le caillou est à 10 cm.
– Y a t-il une signature « Jean-Marc Dufouleur » ?
– L’élaboration de vins de terroirs auxquels nous aspirons tous est la résultante de trois facteurs majeurs: le sol, le climat et les hommes qui y travaillent. Ça suppose donc un soin particulier en fonction des conditions du moment et à chaque étape, à commencer par le travail à la vigne. Pour faire simple, c’est « des racines et du zèle » ! Si chacun imprime toujours son style, et j’espère ne pas y échapper, je joue néanmoins ma partition avec l’idée que la technique ne saurait dominer « l’éloquence du terroir ». On recherche tous l’équilibre mais avec des moyens mis en oeuvre différents, avec des exigences et des ambitions différentes… Tous les ans, il faut faire de nombreux arbitrages. Les extractions, les élevages, c’est comme le sel dans la soupe: tout est dans le dosage ! Chez moi, jusqu’à présent, jamais plus de 10% de barriques neuves et aucune en 2003. Je dois choisir parfois entre le respect de certaines traditions et la modernité. Par exemple, l’origine de mon nom m’impose de « fouler » mon raisin aux pieds ! Mais par-dessus tout, je sais que je n’aurais pas pu faire ces vins ailleurs que sur ces parcelles. Et pourtant « ailleurs », ça commence juste à côté…
– Des Dieux, des Maîtres ? Des admirations pour certains de vos confrères ?
– Oui et non ! Je considère, avec d’autres, que si nous voyons plus loin que nos pères, c’est que nous sommes d’abord montés sur leurs épaules !
– Avez-vous l’occasion de boire quelques belles bouteilles issues d’autres appellations, d’autres régions ? Un coup de coeur ?
– Si je vous dis que je ne suis pas très Bordeaux…! Oui, ici nous savons toujours inventer des occasions de goûter nos vins. Ma dernière jolie bouteille, c’est un improbable vin grec qui a atterri sur ma table: domaine Mercouri 2003 vin de pays des Letrinon. Très bien fait, à bonne maturité, des arômes exotiques, superbe. Mais mon souvenir récent le plus marquant, c’est un Clos-de-Vougeot 99 de chez Prieur…
– Et dans votre chai, quelle est aujourd’hui votre bouteille préférée ?
– Mon Morey Saint-Denis 1er cru Les Monts Luisants 2003 ! Sans hésiter ! C’est du hors-norme et je suis particulièrement heureux d’avoir pu vivre et accompagner ce millésime. Depuis sa mise, il n’a pratiquement pas bougé ! Il était bon à boire dès sa naissance et il possède un très, très grand potentiel de garde. 10 ans après, je reste convaincu que j’aurai du mal à retrouver la réunion de toutes ces conditions, si favorables…Pour moi ce vin, c’est un peu une page d’histoire !
Dès demain, on trouvera le compte-rendu de la dégustation des millésimes 2000, 2003 et 2009 dans la rubrique « Dégustations » (dans »Glou-Glou »).
BERTRAND soize
29 avril 2013 @ 20 h 03 min
Pas très sympa pour les pétoncles….mais voilà un vigneron plein de poésie et d’amour pour sa passion, cela met du baume au cœur.