Le 1er Mai… ou Premiers mets !

Diou Biban, en dehors du fait que j’ai toujours trouvé suspect de ne justement pas travailler le jour de la Fête du Travail — paradoxale et facétieuse invention d’un fonctionnaire ? — et qu’en plus d’avoir un « nez » vulgairement racoleur que même un viognier n’oserait pas se permettre, avouez que le muguet, symbole du jour, c’est tout de même une infection rédhibitoire pour un gourmand !
Alors oui ! Vouons plutôt à nos « premiers mets » l’attention qu’ils méritent quand on est respectueux du calendrier, c’est-à-dire de la nature et de ses saisons. En nous souvenant que nous avons des devoirs et des engagements envers cette nature. Sans doute qu’alors nos vœux — et pas seulement de gourmandise — seraient exaucés !
Quelle charmante coutume en effet, pour un gourmand non perverti qui se nourrit encore en fonction des saisons et qui guette à l’étal la première morille, les premiers pissenlits, la première asperge, la première fleur de courgette, la première fraise, la première cerise, le premier abricot, la première pêche, etc. que de faire un vœu !
D’autant que le gourmand curieux ne se contentera pas de la première asperge mais… de la première asperge verte, de la première asperge blanche, de la première asperge violette, de la première asperge sauvage ! Quatre vœux au lieu d’un, rendez-vous compte !
Et que le gourmand raffiné ira encore plus loin puisqu’il goûtera quant à lui la première asperge de Vallauris, la première asperge des Landes, la première asperge du Val-de-Loire, la première cerise de Céret, la première cerise d’Itxassou, la première Burlat, la première « cœur de pigeon », la première Montmorency, le premier abricot Bergeron de la Drôme, le premier abricot rouge du Roussillon, la première poire Guyot, la première poire Passe-crassane, la première poire Conférence, la première clémentine de Corse, et j’en passe, des meilleures et des encore plus savoureuses. Car entre les variétés et les provenances, que de vœux en perspective !
Et puis, il n’y a pas que le cycle des végétaux.
Il y a aussi les plats : la première brouillade aux truffes, la première salade de pissenlits aux lardons, le premier agneau de lait rôti, la première omelette aux morilles, les premières cuisses de grenouilles sauce poulette, le premier navarin aux petits légumes printaniers, la première blanquette de veau (à l’ancienne), la première pomme de terre primeur vapeur, le premier chèvre frais, le premier tourteau mayonnaise, la première alose à l’oseille, le premier clafoutis, les premiers cocos de Paimpol au jus, la première confiture faite maison avec les abricots du verger (avec les amandes des noyaux), la première ratatouille (la vraie, celle qui se fait avec des légumes de plein été), la première poêlée de cèpes, la première Saint-Jacques juste snackée, la première huître Marennes-Oléron — et le gourmand curieux dégustera tous les numéros comme autant de nouveautés, il ne faut pas bouder son plaisir ! —, le premier gibier débusqué, la première daube des premiers frimas, le premier boudin après les tuailles de cochon, le premier cassoulet et ainsi de suite car c’est presque sans fin (mais jamais sans faim).
Pire, s’il a la gourmandise éclectique, le gourmand voudra aussi goûter les premiers ornithogales (à ne pas confondre avec les asperges sauvages), le premier beurre de printemps à goût de noisette (quand les vaches se sont remises à brouter de l’herbe), la première amande fraîche cueillie sur l’arbre, le premier ail rose de Lautrec (qu’il vaut mieux garder dans le bac à légumes du réfrigérateur plutôt qu’en orner le mur de sa cuisine), les premiers oignons doux des Cévennes, la première récolte de sel des marais de Guérande, de Noirmoutier ou de Camargue, la première salicorne, les premières mûres de ronces qui font la langue violette, les premiers pruneaux, la première mouture fraîche de poudre de piments d’Espelette, la première olive de Lucques, etc. Car le gourmand est insatiable (et non vorace). Et sa soif de goûter aux saveurs des nourritures terrestres est avant tout une soif de connaissance, de savoir.
Rappelons que le mot savoir découle du mot saveur et non l’inverse : https://gretagarbure.com/2012/12/02/la-chronique-de-greta-garbure-4/
S’il pousse son raisonnement jusqu’au bout, le gourmand perfectionniste n’hésitera pas non plus à faire un vœu chaque première fois qu’il entreprend de tester une nouvelle recette qu’il n’a encore jamais préparée auparavant : « son » premier pâté en croûte, « son premier gâteau de foies blonds », « son » premier lièvre à la royale, « son » premier canard à l’orange (aux oranges bigarades, comme il se doit), « sa » première garbure — bah tiens ! on n’allait quand même pas la zapper celle-là ! : https://gretagarbure.com/2014/11/21/plats-mythiques-33/ —, etc. etc.
Enfin, s’il est rusé, notre gourmand appliquera aussi ce jeu des découvertes aux vins ! Et même s’il n’est pas donné à tout le monde de boire « sa première Romanée-Conti » ou « son premier Château Yquem », la première coupe de champagne de l’année, le premier verre de chaque appellation (voire de chaque domaine), le premier rosé de l’été, le premier vin « bourrut » (avec des châtaignes), le premier coup de fendant suisse sont autant d’occasions de faire encore et toujours des vœux. Sans même parler du beaujolais nouveau (et là, j’espère que vous faites le même que moi !).
MAIS !
Car vous pensez bien qu’il y a un mais, Diou Biban !
Le vœu n’est pas un acte passif comme on le croit généralement !
Non, il ne s’agit pas seulement d’émettre un souhait, un désir et d’attendre ensuite que ça vous tombe tout rôti tout cuit… dans le bec ou dans l’assiette, comme lorsqu’on joue au loto.
Non, littéralement le mot vœu vient du latin « votum », lui-même issu de « vovere » qui signifie « vouer, promettre ».
Ce qui veut dire que chaque vœu suppose — en amont — une promesse, un engagement !
Eh oui chers gourmands, n’oubliez pas que derrière chaque vœu se cache une promesse !
Et que tout gourmand reconnaissant devrait faire une offrande, un bien nommé « ex-voto » (d’après le vœu) qui est le remerciement au vœu exaucé, conformément à ce qui a été souhaité.
On le voit, être un gourmand minutieux… c’est du boulot !