Le reblochon de Savoie
C’est un savoyard
à la fois robuste
et plein d’amabilité.
Un vrai montagnard
né de la flibuste,
mais qui a gagné
la respectabilité.
C’est en Haute-Savoie,
de l’autre côté du Rhône,
dans la vallée de Thônes,
— pour dire le juste endroit,
dans la combe du Reposoir —
qu’est née son histoire.
En des siècles reculés
— au XIVe exactement —
les fermiers devaient s’acquitter
d’une taxe d’élevage
pour le paiement
de la location d’un alpage.
Cette redevance était calculée
proportionnellement
à la quantité de lait
fournie par leurs troupeaux.
Mais nos paysans,
qui la trouvaient
très exagérée,
décidèrent de tricher
au nez et à la barbe des proprios.
C’est ainsi
que naquit le reblochon
à l’ingénieuse fabrication.
Eh oui ! À l’origine,
ce fut un fromage de fraude
fabriqué en maraude,
à la clandestine.
Voilà donc le stratagème
que nos montagnards lésés,
mais diablement rusés,
mirent au point sans dilemme
pour récupérer une part
moins frustratoire
du bon lait
qu’on leur taxait.
Nos astucieux paysans
prirent l’audacieuse habitude,
dans leur vallée d’altitude,
de traire incomplètement
les vaches au petit matin
— avant le ramassage du lait,
le jour où le propriétaire venait —
pour les « reblocher »
(traire une deuxième fois)
une fois qu’il avait décampé.
C’est-y pas malin ?
C’est de là que vient le nom
dialectal de « reblochon » !
Grâce à cette traite partielle,
ils obtenaient ainsi un lait
très riche et très gras
avec lequel ils fabriquaient
des fromages exquis
en catimini,
pour leur consommation personnelle.
Trois cents ans plus tard,
des moines chartreux
défrichèrent
la combe du Reposoir,
berceau de ces fromages.
Les paysans demandèrent
alors sans ambages
aux hommes pieux
de venir chaque année
bénir leurs chalets.
Et pour les remercier,
ils leur offraient
le fameux reblochon.
Peut-être était-ce aussi
pour se faire pardonner
tant d’années
de tours de passe-passe.
En tout cas, le fromage prit
alors l’éloquent surnom
de « fromage d’actions de grâces » !
Quoi qu’il en soit,
cette production
fut si longtemps élaborée
en toute discrétion
que jusqu’au siècle dix-neuvième,
en dehors de la région même,
on n’y faisait guère allusion.
Mieux, hors la Haute-Savoie,
on n’en avait jamais entendu parler.
Un fromage fabriqué en douce,
un secret si longtemps
et si jalousement
gardé à l’insu de tous,
n’est-ce pas incroyable,
et ne dirait-on pas une fable ?
Aujourd’hui, notre reblochon
est universellement reconnu.
Il a même eu de la promotion
puisqu’il a obtenu
la première AOC savoyarde
(en 1958) pour un fromage
à pâte pressée non cuite.
Ce n’est bien sûr l’apanage
que de ceux qui respectent
un cahier des charges strict.
Le lait de vache, cru et entier,
— qui doit provenir de la collecte
des trois races autorisées
(Abondance, Tarine et Montbéliarde),
celles-ci devant paître au minimum
150 jours par an pour un goût du lait optimum —
est aussitôt emprésuré
après chaque traite,
matin et soir.
Une fois le caillé tranché et égoutté,
il va alors falloir
que, par portions on l’installe
dans des moules ronds garnis de toile,
comme dans des couchettes.
Il y est légèrement pressé,
mais ne subit aucune fermentation.
C’est juste pour lui donner
sa forme de reblochon :
coucouche panier,
papattes en rond !
Ensuite, il va subir un saumurage
avant la phase de séchage
qui se fait quant à elle en hâloir,
autant dire une sorte de dortoir
où dormir à la fraîche
(moins de 16 °C).
Il va s’y affiner
à la petite semaine
(entre deux et cinq,
pas besoin qu’on se dépêche).
Là, selon une tradition pérenne,
on le retourne et le requinque
un jour ou deux
en le lavant, s’il vous plaît…
au petit-lait.
C’est comme ça que peu à peu,
il se pare d’une croûte blonde safranée
tirant sur le rosé
et recouverte d’un duvet blanc.
Sous cette croûte lavée,
sa pâte couleur crème
est souple et grasse,
et de saveur douce et fruitée.
Avec un taux de matière grasse
compris entre 45 et 50 %.
On ne compte pas quand on aime !
Tout beau et tout rond,
il pèse de 450 g à 500 g environ,
pour 13 à 14 cm de diamètre
sur 3,5 cm d’épaisseur.
Et il est présenté sur un disque de bois
— fine feuille d’épicéa —
d’un diamètre
légèrement supérieur.
Enfin, bien que sa saisonnalité
se situe plutôt en hiver,
il est également superbe
les mois d’été,
quand le lait a goût d’herbe…
ce qui rend le fromage très parfumé.
Bref, on en trouve toute l’année
(à commencer par les industriels).
Mais sur le mode traditionnel,
il peut être aussi
de fabrication « fruitière ».
Voici comment les différencier :
quand il est fabriqué et affiné
dans les « fruitières » ou fromageries
de Haute-Savoie
(et du Val d’Arly en Savoie),
le reblochon est dit laitier…
… ou « fruitier ».
Il porte alors une plaque de caséine
rouge sur l’une de ses faces.
Quant au reblochon dit « fermier »,
— des puristes le plus apprécié —,
il est produit uniquement
dans les fermes où l’on trait les vaches
et où toutes les étapes de la fabrication
se font manuellement sur place,
jour après jour et sans relâche
— il faut être tenace —
jusqu’à la finition.
Ou encore, en alpage durant l’été.
Il est alors lui aussi estampillé
d’une plaque de caséine…
Mais attention,
celle-là est verte !
Et apposée non sur une face…
mais sur le talon.
Je vous en conseille vivement
la découverte.
Bien sûr, notre AOC est aussi devenue AOP
(Appellation d’Origine Protégée),
ce qui au même revient
en droit européen.
À l’étal de la crémerie,
notre reblochon a fait des petits.
Il existe en effet
un reblochonnet
dit aussi petit reblochon,
ainsi que des demi-reblochons.
Le petit modèle
pèse de 240 à 280 grammes
pour 9 cm de diamètre
et 3 cm d’épaisseur.
De fabrication industrielle,
il a forcément moins d’âme
— osons dire qu’il est assez piètre,
avec plus de fadeur —
puisqu’élaboré
au lait pasteurisé.
Il a aussi un cousin germain
du nom de « colombière »
(col voisin éponyme,
près de la combe du Reposoir
dont je vous ai déjà dit l’histoire).
De fabrication fermière,
il a un peu plus d’envergure
(de 15 à 16 cm de diamètre),
un peu plus d’épaisseur
(3 à 4 centimètres),
et un peu plus d’embonpoint
(600 à 750 g, il n’est pas au régime).
Mais malgré cette plus forte stature,
il est très proche du reblochon,
tant par sa fabrication
que par sa saveur.
Quoi ?
Je ne vous ai pas parlé de tartiflette ?
Eh bien non !
Certes, la recette a fait… recette.
Mais de quoi parle-t-on ?
D’un plat juteusement inventé
pour tenter et sustenter
les touristes des sports d’hiver,
pas d’une recette de grand-mère !
Pas d’une recette de terroir !
Pas de patrimoine montagnard !
Un plat grossier qu’à la tonne on débite
et qui n’a que ce qu’il mérite :
du fromage de cavalerie.
Si vous aimez ça, tant pis !
C’est bien dommage…
Car pour moi,
le reblochon,
c’est un fromage
de dégustation.
Un point, c’est tout.
Vive le goût !
Contact VIP nom à afficher
18 décembre 2016 @ 7 h 31 min
Je succombe devant autant de talent et de poésie de la part de Blandine pour conter l’histoire du reblochon, qui tout d’un coup prend du galon. Si je décris Blandine Vié comme ma bogueuse préférée, c’est uniquement parce que la technologie quotidiennement utilisée s’appelle comme cela. Mais c’est en réalité un véritable auteur, amoureuse des mots. Moi, à force de la lire, je tombe en amour pour elle (comme disent nos frères canadiens).
Delpech Blandine
18 décembre 2016 @ 8 h 29 min
Parfait comme à l’accoutumée!
Bonnes fêtes de Noël