Quand Hervé Bazin parle de Françoise Bernard
Le destin est facétieux. La semaine dernière, je rendais hommage à Françoise Bernard (je vous repasse l’article plus bas).
Et voilà que cette semaine, en triant des vieux cartons de livres, je tombe sur ce roman d’Hervé Bazin publié en 1991, que j’ai envie de relire. C’est la suite du Matrimoine, publié en 1967. Le narrateur Abel Bretaudeau y est avocat et raconte sa famille alors que la femme s’est émancipée et que les hommes ont un nouveau rôle à jouer au sein de la famille, y compris en ce qui concerne les tâches ménagères.
Et figurez-vous que dans le deuxième chapitre intitulé 1970, je lis ça :
« Ce bon larron parti, j’ai préparé la défense d’un autre. Puis, en vertu de la répartition, je suis passé dans les chambres des enfants, rentrés entre-temps, pour jeter un œil sur les devoirs. Enfin j’ai rejoint la cuisine.
Réception Bretaudeau ! Jamais plus d’une par mois. Les Gouveau se sont décommandés. Nous n’aurons que Gilles, Tio et les Dumoret. Mariette ne rentre jamais avant sept heures. À moi donc de préparer au moins une partie du menu. Le programme est affiché sur une ardoise. Mais comme je m’y attendais, coup de sonnette : l’oncle arrive « pour m’aider ». À vrai dire il m’agace, car c’est plus fort que lui, chaque fois qu’il me voit, harnaché de mon costume anthracite, cravaté, chaussé de souliers bien cirés par moi-même, m’enfouir dans un vaste tablier à poche ventrale et cordons noués dans le dos, il pouffe… et m’apprend qu’en acceptant l’office je ressens comme lui le déguisement. Tant pis ! Il arrive, il enlève sa veste, il demande :
— Je te passe quoi ?
— Le plat à four.
Son assistance consiste à tout bousculer dans le placard pour trouver l’ustensile, mais surtout à parler d’anciens gueuletons de mess, tandis que je consulte les Recettes faciles (paraît-il) de Françoise Bernard pour mettre au point un rôti de chevreuil aux pommes : rôti retiré de la marinade où il se parfumait depuis trois jours et que j’installe sur le plat beurré, tapissé d’aromates et de petits légumes.
— Hé ! dit Tio. La viande a noirci.
Très peu. Parce qu’elle n’a pas été assez souvent retournée. Mettons le vilain côté en dessous. Pour la gloire, j’épluche les pommes en vrille, d’un seul tenant. J’en rate deux en songeant que ce n’est pas de l’article 1614 que je peux exciper dans l’affaire Blésiez contre Arsenal ; la rescision pour lésion n’a pas lieu en faveur de l’acheteur…
— Passe-moi le vide-pomme. »
L’école des Pères, Hervé Bazin, Éditions du Seuil 1991, pages 70- 71 de l’édition Le Grand Livre du Mois.