Les vestales de la cuisine française, ce sont les cuisinières !
« La cuisine française n’est pas entièrement contenue dans les doctes recueils de recettes qui nous sont transmis depuis plusieurs siècles ; elle n’est pas détenue par les aristarques des fourneaux qui prétendent la réduire en arcanes. Comme le comte du Broussain mettait la gastronomie en primo, secundo, tertio, elle est encore, et bien plus, dans les traditions que les ménagères se transmettent d’âge en âge, avec la gravité que comporte une haute fonction sociale, concernant l’ensemble du repas, la coordination des différents mets, le confort et l’ornement de la table avec son linge, son argenterie, ses cristaux, sa porcelaine et sa faïence, de même que dans les devoirs de l’amphitryon, dans tout de que Brillat-Savarin a réuni et en quelque sorte codifié, sous le titre de Prolégomènes, dans la PHYSIOLOGIE DU GOÛT.
Les vestales de la cuisine française, ce sont les cuisinières, les bonnes femmes qui, presque d’instinct, savent faire mijoter les ragoûts les plus simples, composer une nourriture appétissante et savoureuse, bien plus que les maîtres-queux parmi lesquels on trouve des artistes, certes, mais aussi des hommes de métier sans intelligence et des industriels d’officines de palace.
Si l’ouvrier et, en général, l’homme du peuple en France, n’était pas « porté sur son bec » par le fait d’une longue hérédité et d’habitudes anciennes, la cuisine française, n’étant plus que l’apanage de classes riches et de grands hôtels internationaux , aurait bientôt fait de perdre l’hégémonie gastronomique et l’empire du goût.
En débrouillant l’art confus de nos vieux cuisiniers, opération qu’il faut renouveler de temps en temps, en ridiculisant les plats emphatiques, l’abus des épices et autres hérésies dans lesquelles versait du Broussain, considéré comme l’arbitre de la table de la fin du XVIIème siècle, Boileau exerça une influence moins connue, certes, mais au moins aussi féconde que celle de son ART POÉTIQUE sur la littérature de l’époque.
Ce qu’il avait commencé trouva son couronnement un siècle plus tard sous la plume de Brillat-Savarin, dont le livre est la somme de tout ce que le goût français raffina au cours des XVIIe et XVIIIe siècles.
Bien que la cuisine d’aujourd’hui ne soit plus, comme nous l’avons dit, la même que celle d’autrefois, les conditions de vie et les mœurs ayant considérablement changé, les exemples et préceptes dont il vient d’être question sont toujours à la base de la gastronomie. »
Lu dans « L’Amphitryon d’aujourd’hui », de Maurice des Ombiaux, 1936
Morceau choisi par Blandine Vié